Révolution de palais
Notre chroniqueur tire quelques enseignements de la votation de ce week-end. Vu la complexité du sujet, il n’est pas très optimiste pour la suite

La Suisse est un modèle démocratique: on consulte le peuple sur des sujets fondamentaux, et incompréhensibles. D’ici peu, par exemple, il pourra changer notre système monétaire. Pour préparer cette échéance (et les suivantes), nous pouvons tirer quelques enseignements du vote de ce week-end. Car une réforme fiscale est complexe. On y mêle technique et passion, dans un contexte hautement populiste où seul le slogan survit. Autant dire qu’il faut être clair et compréhensible. A ce niveau, l’idée des intérêts notionnels fut exemplaire: la mesure est incompréhensible, fortement suspecte, et personne ne l’avait demandée. L’autogoal parfait.
Qui est «vous» et «nous»?
Le monde économique a perdu, et il s’interroge. Il interroge le peuple, lit-on dans Le Temps de jeudi dernier. «Pourquoi n’êtes-vous pas venus nous parler plus tôt?», répond le peuple. Reste à savoir qui est «vous» et «nous». Si le patron est coiffeur, le peuple le rencontre chaque mois, en moyenne. Mais bon. «L’Economie», avec un grand E, doit donc «parler vrai». Or, l’économie qui parle vrai, c’est Trump. Voilà un patron qui sait convaincre les ouvriers. En campagne, il tape sur Wall Street. Elu, il dérégule. En résumé, parler vrai, c’est dire n’importe quoi, pourvu que le peuple croie comprendre. Dans une campagne sur une réforme fiscale, il faut dire un truc du genre: «C’est vous qui allez payer la facture.» On ne sait pas si c’est vrai, mais on le dit quand même, car c’est facile à comprendre. De la démagogie, mais on s’en fiche: pour gagner, nos entrepreneurs doivent apprendre à dire n’importe quoi. Il n’est pas indispensable que le peuple comprenne. Il suffit qu’il le croie.
Et maintenant, «Monnaie pleine»
Ainsi donc, bientôt, nous voterons sur l’initiative «Monnaie pleine», une réforme complète du système monétaire. Objectif: exclure les banques de la création de monnaie. Une idée apparue dans les années 30, et soumise l’année prochaine au peuple suisse en première mondiale. Vous n’y comprenez rien? Ce n’est pas grave! Sur leur site, les initiants proposent de tout comprendre «en 15 secondes». Véridique. Un siècle de débats d’économistes réglé en six clics. Six questions pour vous faire une opinion. Du genre: «Voulez-vous que votre argent soit en sécurité?» J’ai fait le test. «Vous voterez oui, conclut le site. Car avec autant de points, vous connaissez les faits». Sans rire.
En six clics, j’ai tout compris. Je «connais les faits». Trois slogans et six clics pour réinventer la Suisse. On peut fermer le parlement.
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