Cela faisait plusieurs années que la compétition officielle du Festival de Cannes n’avait pas été de si bonne tenue, avec très peu de films profondément décevants. Bien malin celui qui pourrait prédire vers quels films iront les préférences du jury présidé pour cette 71e édition par Cate Blanchett, et qui dévoilera son palmarès ce samedi soir. Au milieu des 21 longs-métrages en lice, il y en a en tout cas un qui reste à part, autre: Le livre d’image, de Jean-Luc Godard. Impossible de le comparer aux autres titres, de se demander s’il est plus ceci ou moins cela. Mais une chose est sûre, il ne mérite pas la Palme d'or. Et il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, bien au contraire.

Tout simplement, Godard n’a pas besoin d’une Palme. Sa place dans l’histoire du cinéma moderne est telle, indiscutable, que le couronner à 87 ans donnerait l’impression de saluer un maître dans son crépuscule pour l’ensemble de sa carrière, et non pour ce seul film. Certains se demandent si Le livre d’image, c’est encore du cinéma. La réponse est oui, bien sûr. Il s’agit certes d’un collage, d’un travail de montage plus que de tournage (dans la lignée de ses Histoire(s) du cinéma), mais le désir est le même: raconter une histoire, provoquer des émotions – l’un n’étant pas nécessairement lié à l’autre. Lorsque Man Ray intervient directement sur la pellicule, qu’Andy Warhol filme fixement l’Empire State Building ou que Chris Marker travaille à partir d’une succession de photographies, là aussi, c’est du cinéma.

Suggérer, éclairer

L’histoire que nous conte ici le Vaudois est celle des images et de leur utilisation dans le cinéma, celle de l’humanité, aussi. Prétentieux, narcissique, abscons, ennuyeux, diront ceux qui affirment avec aplomb à quel point Godard n’incarne plus rien alors même qu’ils n’ont certainement plus dû voir un de ses films depuis, disons, Prénom Carmen ou Détective. Les fous. «JLG» dit plus de choses dans Le livre d’image que certains cinéastes dans l’ensemble de leur carrière. Et dans le fond, il ne dit pas; il suggère, il éclaire. Il n’y a chez lui aucune thèse, mais un désir de pousser à la réflexion. Le film invite à la parole plus qu’il ne s’interprète. La guerre, le fascisme, l’obscurantisme, la mythologie, l’art: il parle un peu de tout cela.

Lire aussi:  Jean-Luc Godard feuillette son passionnant «Livre d’image»

Godard est un maître, mais pas un maître à penser. Il est plutôt un guide, un phare. Le suivre, se laisser bercer par l’extraordinaire musicalité de son enchanteur Livre d’image, est une expérience aussi sensorielle qu’intellectuelle. Il n’aura pas la Palme d’or, mais il mériterait le Prix de la mise en scène. Pour souligner que le cinéma ne saurait se résumer au geste originel, celui de filmer des gens.


Les dernières chroniques (in) culture

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.