Commençons d’abord l’année 2017 par une explication complémentaire. Convié mardi soir à parler de politique française à «Forum» avec mes collègues Ariane Hasler (RTS) et Xavier Alonso («Tribune de Genève»), j’ai risqué en fin d’émission un pronostic improbable: celui d’un second tour de la présidentielle qui opposerait, le 7 mai, Emmanuel Macron à Marine Le Pen.

Argument simple, déjà évoqué dans cette chronique: ce duel-là, entre l’ancien ministre de l’Economie de 38 ans et la présidente du Front national, son aînée de dix ans, aurait le mérite d’offrir une alternative claire entre deux visions de la France, de la mondialisation, de l’Europe et du rôle de l’Etat dans l’économie. Deux France diamétralement opposées. Le débat public hexagonal en sortirait assaini et clarifié.

Profonde vague conservatrice

Ce scénario d’une finale Macron-Le Pen n’est pas insensé. Il s’appuie, au-delà des sondages, sur la dynamique qui porte ces deux candidats. L’un, Macron, de plus en plus incontournable au centre gauche, social-libéral très bien positionné pour plaire aux jeunes générations urbaines, tout en rassurant l’électorat conservateur inquiet du programme à la Thatcher de François Fillon, vainqueur de la primaire de la droite. L’autre, Le Pen, solidement installée à la droite de la droite en capitalisant sur son fort soutien dans les couches populaires.

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Peut-on, sur cette base, en déduire que les deux sont les mieux placés pour le futur duel présidentiel? J’admets, après réexamen de mes dossiers électoraux et en avoir débattu sur Twitter, que la réponse est non. C’est aller trop vite en besogne. D’abord parce que la France est aujourd’hui submergée par une profonde vague conservatrice – celle qui a permis à François Fillon de l’emporter contre Alain Juppé – et une envie d’alternance claire sur laquelle bute la candidature Macron.

Ensuite parce que la mobilisation en faveur de celui-ci reste lestée de nombreux points d’interrogation, en particulier celui nommé François Bayrou. Un nouveau round présidentiel du candidat centriste serait sans doute fatal à l’ancien ministre de François Hollande. Ajoutons, enfin, que Marine Le Pen, portée par les vents populistes favorables, peut encore trébucher. Surtout si les dissensions au sein de son parti s’aggravent, favorisant un report des voix vers la droite, version Fillon.

Un vainqueur envoyé au casse-pipe

Vous noterez à ce stade que je n’ai pas parlé de la primaire à gauche, baptisée «citoyenne», dont le premier tour aura lieu le 22 janvier. Et pour cause, tant l’on voit mal son futur vainqueur jouer les premiers rôles et parvenir jusqu’en finale présidentielle. L’ex-premier ministre Valls? Le bilan du quinquennat, et son image d’apparatchik trop raide, lui seront renvoyés en boomerang par ses adversaires s’il remporte la primaire.

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L’ancien ministre du redressement productif Arnaud Montebourg? Assuré de cogner contre la candidature hors primaires de Jean-Luc Mélenchon, chantre de la gauche radicale et du nationalisme économique. Les anciens ministres Benoît Hamon et Vincent Peillon? Leur victoire surprise à la primaire n’en ferait pas pourtant des candidats capables de rassembler au-delà du camp socialiste. Question de profil et de notoriété.

S’il peut, grâce à un bon niveau de participation populaire, redorer le blason plus que défraîchi du PS français, le scrutin des 22 et 29 janvier semble surtout assuré d’envoyer son vainqueur au casse-pipe du premier tour présidentiel, le 23 avril, avec le risque de voir ce dernier devancé par Mélenchon ou Macron…

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Se pose donc la question: à quoi bon une primaire pour désigner un perdant, alors qu’il eût été plus simple, et également plus logique, de voir François Hollande tenter sa chance pour un second mandat? Quitte à risquer, lui aussi, l’effroyable affront d’un échec au premier tour. Président sortant, Hollande aurait pu profiter de la légère éclaircie actuelle sur le front du chômage. Il aurait capitalisé sur les questions régaliennes (sécurité, défense, diplomatie). Et sa campagne, qui sait, aurait pu lui permettre de redresser la barre de son impopularité record. Mais c’est oublier une chose, essentielle: les partisans de cette primaire à gauche avaient en réalité un seul but: tuer le président.

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