Une seule lettre vous manque et tout est différent. Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron publiait «Révolution» (Ed. XO) et se permettait, en guise de résumé, de mettre sa photo au dos du livre. François Bayrou, lui, a choisi pour titre «Résolution française». Un S à la place du V, et ce résumé en quatrième de couverture: «Résolution, ce mot qui dit la volonté, les choix qu’on décide et qu’on peut tenir, les solutions aux problèmes et la sortie des conflits inutiles.»

Le parallèle entre les deux hommes est logique. Lors de la présidentielle 2007, François Bayrou l’intransigeant avait raflé la mise en s’installant au centre de l’échiquier politique, entre «l’amateurisme» de Ségolène Royal et la «brutalité» de Nicolas Sarkozy. Il avait alors obtenu 18% des voix, propulsant son mouvement démocrate (Modem) à l’avant-scène. Seulement voilà: dix ans se sont écoulés et l’ancien ministre de l’Education, aujourd’hui maire de Pau, est de moins en moins dans le radar des Français. Il a toujours pour lui sa stature et sa force de caractère, doublées d’un réel courage et d’une grande culture.

Mais la place est prise. Ses 9,13% de 2012, puis surtout l’annonce de son vote personnel pour François Hollande au second tour, ont brouillé son image. Pire: Bayrou, duc de Béarn, reste pour beaucoup d’électeurs de droite ce «traître» sur lequel Nicolas Sarkozy a tiré à vue durant la primaire remportée par François Fillon.

Bayrou, l’ex-présidentiable

Qu’attendre, donc, de cet ex-présidentiable, qu’une nouvelle aventure élyséenne démange? Son essai est éloquent. L’homme n’est pas un centriste «ni droite ni gauche» et hors système version Emmanuel Macron. François Bayrou est, sur le plan social et institutionnel, un conservateur. Il croit dur comme fer à la clé de voûte présidentielle. Il se dit «réservé à l’idée d’une démocratie spontanée». Il moque «ceux qui se délectent des annonces de grand soir et de rupture perpétuelle». Il redit sa réticence à l’égard des primaires, surtout «pratiques pour dénouer les nœuds de rivalité au sein des partis». Il défend un «service civique universel sous un uniforme national avec une période de classes». Presque aucun paragraphe en revanche sur la suffocation des entrepreneurs français en manque de liberté. Une évocation rapide des enjeux numériques. Priorité à l’unité. Bayrou est rassembleur, pas disrupteur.

La force de son propos est ailleurs: l’ex-dirigeant centriste – héritier de l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing dont son mouvement continue d’occuper le siège à Paris – incarne ce refus de la droite profonde et revancharde propre aux «orléanistes». Son alternative s’adresse au camp conservateur. Sa droite bien dans ses bottes ne se reconnaît pas dans le souverainisme à tout va qui domine aujourd’hui, et continue de militer pour «une Europe qui n’est pas l’ennemie de la patrie», car «le règne de la quantité est le signe des temps» et la France a besoin de ses voisins. «L’idée d’Europe est aimable», ajoute joliment François Bayrou tandis que François Fillon, lui, préfère regarder du côté de Moscou que de Bruxelles. Se pose dès lors «la» question: où se situe-t-il aujourd’hui? Entre Fillon et Macron? Ou plutôt proche du premier, qu’il connaît depuis si longtemps…

Un fossé entre Bayrou et Fillon

La réponse paraît limpide. S’il n’y va pas lui-même, refroidi par des sondages qui lui accordent timidement 5% des voix au premier tour, François Bayrou restera sans doute sur son Aventin. Parce que Macron est, pour ce classique, une créature politique trop jeune et trop hybride. Et parce que la vision de François Fillon pour la France n’est pas la sienne.

On ne peut pas s’empêcher, enfin, à l’heure du «Penelopegate», de lire le fossé Bayrou-Fillon dans les pages de «Résolution française» consacrées à la «tyrannie de l’argent». «C’est une bien grave trahison d’avoir pour tout un pays laissé dériver les comptes alors qu’on tient si précisément à l’équilibre chez soi», assène l’auteur, avec sans doute en tête les déficits publics record du quinquennat Sarkozy. «C’est nous comme pays, c’est la France qui, du plus profond d’elle-même refuse et refusera d’être soumise à l’argent, refuse et refusera l’argent roi.» Ecrites bien avant l’affaire des rémunérations parlementaires de la famille Fillon, ces lignes font mal. Comme une porte qui claque.

«Résolution française» (Ed. de l’Observatoire)


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