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Quand le Grand Conseil bernois humilie sa minorité du Jura bernois

Au fil des décennies, le séparatisme jurassien s’est enrichi des bourdes bernoises. La Question jurassienne ne remonte-t-elle pas, historiquement, à l’ « affaire Moeckli », en automne 1947, lorsque le Grand Conseil bernois a refusé au ministre francophone Georges Moeckli le Département des travaux publics, au prétexte qu’il était romand et qu’un tel ministère était bien trop important pour être confié à un « Welsch »?

Jeudi, après un épuisant débat sur les économies budgétaires, une courte majorité bourgeoise du parlement bernois a peut-être pris une décision susceptible d’être comparée à l’affaire Moeckli. Par 67 voix contre 64, il a accepté une motion des députés UDC Blanchard et Hadorn, exigeant le retrait de la phase communaliste du processus de règlement de la Question jurassienne négocié par les gouvernements bernois et jurassien. Le 20 février 2012, sous l’égide de Simonetta Sommaruga, ces exécutifs reprenaient une idée de l’Assemblée interjurassienne et décidaient, près de quarante ans après les plébiscites de 1974 et 1975, de consulter une nouvelle fois les populations du Jura et du Jura bernois, pour leur demander si elles souhaitent créer un nouveau canton. Et, dans l’hypothèse – probable – où une majorité du Jura bernois préfère le statu quo, le processus prévoit d’offrir la possibilité aux communes qui le demandent d’être rattachées au canton du Jura. Conformément, d’ailleurs, à l’article 53 de la Constitution fédérale qui rend possibles des modifications de territoires des cantons.

Le vote du Grand Conseil interpelle pour plusieurs raisons. Le processus arrêté par les gouvernements résultait d’une longue négociation, où Berne avait certes dû accepter la requête jurassienne en faveur du vote communaliste, mais où Berne avait lui aussi obtenu une concession majeure du Jura: le processus de vote devait mettre un terme à la Question jurassienne. La majorité du parlement bernois a pris le risque de bloquer le règlement de ce dossier. A qui profite l’impasse ?

Les Bernois n’ont cessé d’affirmer, depuis de nombreuses années, qu’il appartient au Jura bernois de choisir sa destinée institutionnelle. Or, tout en recommandant le statu quo, le Conseil du Jura bernois a accepté le processus. Jeudi au Grand Conseil, les députés de langue française qui disposent d’un droit de veto pour les affaires qui les concernent, ont refusé la motion Blanchard par 11 voix contre 5. La majorité du Grand Conseil a ainsi décidé de ne tenir aucun compte de l’avis des élus du Jura bernois. Il s’agit clairement d’une humiliation.

La majorité parlementaire bourgeoise avait d’autres raisons, moins avouables, d’accepter la motion Blanchard. Elle inflige un camouflet à la majorité rouge-verte du Conseil d’Etat, et en particulier au ministre francophone, le socialiste Philippe Perrenoud, que l’UDC, avec Manfred Bühler, entend déloger lors des élections cantonales du printemps 2014.

Il est piquant de relever que l’UDC, qui ne cesse d’en appeler au verdict du peuple, décide de priver les collectivités locales d’un possible scrutin d’autodétermination. Piquant aussi de faire voter une disposition a priori contraire à la Constitution fédérale.

Jean-Michel Blanchard et ses collègues antiséparatistes ont ostensiblement laissé éclater leur joie lors de l’annonce du résultat. Un bonheur qui pourrait être de courte durée. Le veto de la majorité des élus francophones provoquera un nouveau débat parlementaire, en janvier, lors de l’adaptation de la loi qui doit permettre de mettre en place le premier des votes d’autodétermination. Jeudi, des députés de gauche – la gauche a refusé la motion Blanchard – avaient quitté l’enceinte du parlement. Un nouveau vote, en janvier, pourrait conduire à une autre majorité.

Sans s’en rendre compte, l’UDC fait le jeu des autonomistes. Qui fondent leur argumentaire sur la manière dont le Jura bernois est (mal)traité par la majorité alémanique du canton de Berne. La perte du siège de Jean-Pierre Graber au Conseil national, le dernier du Jura bernois, avait déjà été mal ressentie. Tout comme l’enterrement du projet culturel Crea que soutenait pourtant le Conseil du Jura bernois.

L’argument massue consistant à affirmer que le Jura bernois est plus à l’aise dans un grand canton bilingue, qui prend un soin tout particulier de sa minorité, perd son sens. L’UDC a ressuscité une formule que les autorités gouvernementales s’étaient évertuées à casser: le canton de Berne est le grand méchant dans la Question jurassienne. Il se pourrait que cette UDC, qui se profile comme le leader de la loyauté bernoise, se soit tiré une balle dans le pied. Tactiquement, en soulevant le lièvre du vote communaliste trop tôt. Peut-être eût-il été plus malin d’attendre le premier vote, à l’échelle des régions, et d’en faire une lecture fine, pour ensuite estimer que les scrutins communalistes étaient non-avenus.

Reste à voir comment les partisans de la réunification surferont, ou non, sur une décision en apparence humiliante, du Grand Conseil. La Ville de Moutier fait plutôt profil bas, depuis quelques mois, dans le débat. Saisira-t-elle la perche maladroitement tendue par une majorité parlementaire qui n’a peut-être pas saisi tous les enjeux ?