Impression, soleil couchant
(in) culture
Si Monet a peint un chef-d’œuvre en immortalisant un lever de soleil sur le port du Havre, le touriste, lui, préfère son pendant vespéral

Au premier plan, une barque naviguant calmement sur la mer. Au second, dans la douce brume matinale, la silhouette majestueuse d’un grand voilier sur la gauche, tandis qu’à droite on distingue les grues qui dansent sur le port du Havre, tel qu’il était au début des années 1870. Et enfin, surtout, un peu plus haut et légèrement décentré, il y a ce disque orangé, incandescent, offrant à l’eau et à un ciel bleu-gris de sublimes reflets.
Quiconque possède de vagues connaissances en histoire de l’art aura reconnu-là Impression, soleil levant, une toile de Claude Monet dont le titre donnera son nom à un mouvement pictural majeur. Je n’ai jamais vu ce chef-d’œuvre de l’impressionnisme en vrai, mais j’imagine que, face à cette œuvre aux dimensions relativement modestes, l’émotion doit être grande, provoquée tant par le caractère paisible de cette huile et la délicatesse du trait de Monet, tout en petites touches discrètes et expressifs empâtements, que par sa dimension historique.
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Les peintres, de tout temps, ont tenté de reproduire la beauté de la nature, de reproduire et de transcender pour l’éternité les spectacles apocalyptiques ou bucoliques qu’elle offre, immuablement, jour après jour. Puis est venue la photographie. Et aujourd’hui, nous voici dans l’ère du téléphone-caméra et des réseaux sociaux transformés en salons d’exposition, avec toute la dimension égotique que cela induit.
L’industrie du coucher du soleil
Si Monet a choisi de peindre un soleil levant, le photographe amateur, lui, préfère son pendant vespéral. Car le soleil couchant a ceci de pratique qu’il accompagne parfaitement l’apéro – moment globalement plus agréable qu’un réveil dans les ténèbres de la nuit finissante. L’autre jour, en Grèce, j’ai été frappé non sans effroi par la façon dont le coucher du soleil est devenu une véritable industrie. A Oia, petite ville blanche perchée au nord de Santorin, une île agressée comme tant d’autres par d’affreux paquebots vomissant des touristes pressés par dizaines de milliers, pas un centimètre carré de muret, pas une ruelle ou une terrasse qui ne soit en fin de journée pris d’assaut.
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Repensant à Monet, mais aussi par esprit de contradiction, je me suis offert le lendemain matin un jogging matinal, dans des rues quasi désertes, avec à la clé une photo de soleil levant. Laquelle m’a définitivement convaincu que ce qui semble sublime et si poétique sur une peinture de maître s’avérera toujours passablement kitsch sur une image amateur ressemblant à des millions d’autres. Néanmoins, lorsque je vois quelqu’un immortaliser un paysage plutôt que de prendre un énième selfie, je garde foi en l’humanité.
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