Jacques de Watteville, une trajectoire européenne
Ma semaine suisse
Le négociateur en chef va remettre le dossier européen à Pascale Baeriswyl, la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Au moment de quitter les négociations avec l’UE, on ressent chez lui, sinon de l’amertume, du moins un grand regret

Grand Monsieur de la diplomatie suisse, négociateur en chef avec l’UE, auparavant secrétaire d’Etat aux questions financières internationales, ambassadeur à Pékin, Bruxelles ou Damas, Jacques de Watteville va donc remettre ces prochains jours le dossier européen à Pascale Baeriswyl, la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Lise Bailat a dit dans ces colonnes l’attachement au service de l’Etat de ce descendant de famille patricienne bernoise, Vaudois et Européen de culture. Une trajectoire européenne puisque Bruxelles fut son premier poste à l’étranger et sa dernière interlocutrice. Au moment de quitter les négociations avec l’UE, on ressent chez lui, sinon de l’amertume, du moins un grand regret: celui de n’avoir pas réussi à conclure l’accord institutionnel pour donner un cadre juridique stable aux relations bilatérales.
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Rupture britannique
A ceux qui lui font remarquer qu’il n’y avait pas de raison de se presser et que la Suisse n’a qu’à se placer dans le sillage de la Grande-Bretagne dans ses négociations sur le Brexit, il répond, en alpiniste qui connaît toutes les voies des Alpes valaisannes: «Il ne sert à rien de se placer dans le sillage de la cordée britannique si nous ne visons pas le même sommet», dit-il. De fait, le mandat du Conseil fédéral est de consolider la participation de la Suisse au grand marché européen, en reconnaissant notamment la juridiction de la Cour de justice de l’UE en cas de différend. Or le Livre blanc sur le Brexit publié par la Première ministre Theresa May indique une stratégie totalement opposée.
Il ne sert à rien de se placer dans le sillage de la cordée britannique si nous ne visons pas le même sommet.
Contrairement à la Suisse, Londres veut rompre avec le marché unique et avec l’autorité de la Cour européenne, pour négocier un traité de libre-échange «ambitieux et global» et obtenir un statut douanier favorable. Pour le Conseil fédéral, un tel traité, caressé par la droite national-conservatrice, constituerait un recul par rapport aux accords bilatéraux actuels, même sans revenir à l’accord de libre-échange conclu en 1972. Pas d’intégration économique complète, risque de discrimination pour les entreprises suisses, augmentation des exigences de conformité, exclusion des marchés publics, pas d’adaptation dynamique des accords.
Effort de vulgarisation
Devant la commission de politique étrangère, Jacques de Watteville n’a pas caché, dernièrement, une certaine irritation devant le blocage européen. Malgré l’élimination de l’obstacle dû au vote contre la libre circulation, il reste un point crucial sur lequel Suisses et Européens refusent de céder. Bruxelles exige de la Suisse non seulement qu’elle reconnaisse la juridiction de la Cour européenne en cas de désaccord persistant et malgré les efforts de conciliation des commissions mixtes. Un refus de sa part d’appliquer la décision de la Cour signifierait la dénonciation de tout l’accord en cause. La Suisse, elle, veut conserver sa capacité de dire non. En cas de refus d’appliquer la jurisprudence européenne, elle accepterait des mesures de compensation proportionnelles, mais pas la dénonciation des accords.
Le Conseil fédéral le sait bien: dans le climat politique actuel, une soumission à la Cour européenne serait impossible à faire admettre au souverain suisse. Même sa propre solution, les mesures de compensation, sera très compliquée à faire passer. Il y faudrait des efforts de vulgarisation et de conviction dont ni le parlement ni le gouvernement n’ont su faire la démonstration avec le vote sur la réforme de l’imposition des entreprises. Dès lors, Berne ne se désole pas autant que son chef négociateur du blocage actuel.
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