«L’académisation» inutile de notre société, un mythe
Formation
CHRONIQUE. Les cursus et diplômes qui se créent et se développent en Suisse correspondent à d’importants besoins, contrairement à certaines idées reçues, défend notre chroniqueuse

Dans le domaine de la formation supérieure, comme ailleurs, certains préjugés ont la vie dure. Recyclés, reformatés, servis à des sauces qui leur donnent le goût du neuf, ils installent un discours ambiant qui alimente les conversations de café du commerce. Et qui masque d’une couche de pessimisme les avancées tangibles de la société.
Un lieu commun revient souvent et mérite particulièrement d’être déconstruit: les hautes écoles (HES, universités, écoles polytechniques) auraient comme obsession d’«académiser» la société, d’inventer des cursus et des diplômes, autant de papiers officiels pour futurs chômeurs. Ce discours manichéen, qui s’attache à opposer les études et l’apprentissage, la science et la vie réelle, les connaissances théoriques au savoir-faire pratique, est à complet rebours de la réalité.
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La vérité est qu’on s’arrache nos diplômées et nos diplômés! Le taux de chômage est en moyenne de 3,1% une année après l’obtention du diplôme, toutes hautes écoles confondues (chiffres 2020 de l’OFS). Leur taux d’employabilité est exceptionnellement élevé, à tel point que des secteurs entiers cherchent désespérément davantage de compétences et espèrent des assouplissements de la politique migratoire du pays.Opposer les formations, c’est nier les atouts du système suisse
Qui travaille aujourd’hui exactement comme au XXe siècle?
Quant au reproche d’une multiplication inutile et exponentielle des cursus et des spécialisations, il ne tient pas davantage: nos sociétés évoluent à vitesse grandissante, requérant des savoir-faire nouveaux, des connaissances affinées, dans des métiers qui n’existaient pas encore il y a quelques années. Et même dans les professions les plus anciennes, qui travaille aujourd’hui exactement comme au XXe siècle?
C’est le contraire qui serait inquiétant: que notre système de formation supérieure, qui n’a cessé de démontrer sa pertinence, sa souplesse et son adaptabilité, reste figé dans le passé, alors que les défis posés ne serait-ce que par l’intelligence artificielle aux métiers à haute valeur ajoutée, qui sont la richesse de la Suisse, sont immenses.
Nous devons paradoxalement nous préoccuper d’un avenir où les étudiants pourraient venir à manquer. L’évolution démographique pourrait nous jouer des tours et accentuer encore les carences en personnes formées à des sciences et des savoirs indispensables à notre société, comme nous le vivons aujourd’hui dans les domaines de la santé et des soins infirmiers, de l’énergie ou des MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technologie).
Aller au-delà de l’utilitarisme ambiant
Ces domaines, du reste, ne sont pas que des formations directes pour des emplois spécifiques. Gardons-nous aussi de l’utilitarisme ambiant qui voudrait ne former que des titulaires de tel ou tel job… Les études sont d’abord formatrices de l’esprit, elles ouvrent le regard, la méthode, la curiosité. Elles valorisent la structure de la pensée, elles permettent à la société d’évoluer.
Cette dernière est touchée par les interventions technologiques qui modifient les rapports humains, certains domaines se complexifient. Et les besoins de compétences diverses, nouvelles, plus pointues, qui répondent à ces réalités, sont là.
L’apprentissage des savoirs et des savoir-faire tel qu’il se déploie en Suisse correspond à cette évolution. Ni plus, ni moins. Et l’imbrication de la «société réelle» avec le monde de la formation y est un atout précieux, sur lequel nous veillons avec attention. Il faut se réjouir des résultats de cette politique, tout en maintenant sa dynamique et sa créativité, parce que nous aurons besoin, demain plus qu’aujourd’hui encore, de diplômées et de diplômés. Dans tous les secteurs de notre société.
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