«L’Europe est la joie et la souffrance de la gauche socialiste et sociale-démocrate… son supplément d’âme…»

Le Parti socialiste suisse n’échappe pas aux tourments de la gauche européenne que décrivait le chercheur en sciences politiques Nicolas Leron dans la revue Le Débat (n° 205, mars-avril 2020), aujourd’hui disparue. Voilà pourquoi la «Stratégie du PS pour la politique européenne de la Suisse», dévoilée fin mai – avec l’espoir de négociations d’adhésion à l’UE avant la fin de la décennie –, tient à la fois de la fuite en avant et d’une tentative de plus de concilier les inconciliables: l’internationalisme pacifiste, la lutte contre les nationalismes, l’aspiration à une démocratie sociale mais aussi la loi des marchés et la super agence de régulation, productrice de normes, que serait devenue l’UE. Pour reprendre l’analyse de Nicolas Leron, «l’Europe est un cas de conscience pour la gauche [européenne], l’horizon d’une certitude inébranlable ou la hantise d’une trahison séculaire… la soumission – temporaire disait-on – à la justice des marchés».

En cela, une partie de la gauche suisse s’inscrit encore dans ce que Daniel Cohn-Bendit disait de la gauche européenne: «Si on avait attendu la gauche, l’extrême gauche, les bien-pensants qui, au nom d’une Europe meilleure, ont refusé les petits pas de la construction européenne, on aurait encore en Europe des Etats-nation rivaux.»

En Suisse, le minage de l’accord-cadre avec l’UE par l’Union syndicale, au nom de la protection des salaires et des conditions sociales suisses, remonte à loin. Les premiers véritables débats européens au sein de la gauche, mais aussi les premières fissures, remontent à 1991 avec le projet d’adhésion à l’Espace économique européen. Avant de rejoindre l’année suivante la plateforme pour «une Suisse sociale dans une Europe sociale» et défendre un «oui critique à l’EEE», toute une frange de l’aile syndicale au sein du PS défendait alors le «non à une Europe des patrons».

Après avoir dressé la liste des avantages et inconvénients, exprimé l’espoir d’une politique climatique européenne ou d’une pleine collaboration aux programmes de recherche mais aussi les craintes d’une atteinte à la démocratie directe ou aux services publics, la nouvelle stratégie du PSS arrive à la conclusion qu’une adhésion présente plus d’avantages que d’inconvénients. Ne serait-ce que par la possibilité de participer pleinement aux décisions européennes plutôt que la nécessité de s’y adapter malgré tout. Le PSS propose donc un plan en trois phases: un accord de stabilisation d’ici à 2023, un accord économique et de coopération jusqu’en 2027, puis une demande d’adhésion.

Agression contre l’Ukraine, menaces sur les valeurs démocratiques européennes, la direction du PS estime que le regard des Suisses sur l’Europe commence à changer. Elle croit aussi discerner, à la lueur de décisions plus favorables à la protection des salaires ou à la mise en place d’un train de mesures environnementales, une tendance à une Europe plus sociale, plus écologique et plus démocratique. Mais ne soyons pas naïfs. Pour le dernier parti à conserver dans son programme l’horizon d’une adhésion à l’UE, il devenait simplement urgent, à une année des élections fédérales, de réparer les dégâts internes provoqués par l’indécision puis le recul du parti sur le projet d’accord-cadre avec l’UE. Reconquérir l’aile europhile. Le président du Centre, Gerhard Pfister, résumait assez bien la chose, l’an dernier: «Le PS ne veut pas sauver l’accord-cadre, mais sauver sa peau.»

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