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L’Europe en quête d’une nouvelle stratégie de sécurité

Bientôt l’Europe devra se pencher sur une nouvelle stratégie de sécurité. Une réflexion cruciale au moment où les Etats-Unis se recentrent vers l’Asie

Il est frappant de constater que le débat s’ouvre en Suisse sur les modalités d’un nouveau rapprochement vers l’Europe au moment où les Européens prennent conscience des effets de la crise financière sur leurs institutions.

M. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, dressait à Genève à fin octobre un tableau positif de l’évolution en cours au sein de l’Union: la crise de l’euro est surmontée, ou en voie de l’être, et il en résultera un surcroît d’Europe, avec l’union bancaire et davantage d’Europe politique.

D’autres sont plus dubitatifs: ainsi, François Heisbourg relève-t-il dans son dernier ouvrage, La Fin du rêve européen (Ed. Stock, 2013), que, certes, l’Europe a été et demeure un puissant facteur de paix, de stabilité et de développement économique sur le continent. Mais la signification de cette incontestable réussite a tendance à s’estomper: personne ne croit que l’Europe puisse glisser vers des guerres fratricides, la paix en Europe est irréversible, aussi naturelle que celle qui règne entre les Etats-Unis et le Canada ou entre la Suède et la Norvège. Pourtant c’est là un fantastique résultat de la construction européenne, mais il est considéré comme un acquis si définitif que l’Union européenne ne peut pas en tirer tout le crédit qui devrait normalement lui revenir.

Notre auteur nuance le propos: il ne faut pas oublier que l’Union a pu s’édifier à l’ombre de la protection américaine, dans une période de tension sans précédent, et qu’elle n’est pas parvenue à se doter d’une réelle défense commune. Au contraire, les positions prises en matière de sécurité par les Etats membres dans le cas de la Libye, du Mali ou encore de la Syrie ont divisé l’Union. Les pays qui se sont engagés n’ont pas été mandatés par l’Union, ils ont agi en vertu de leurs intérêts propres.

L’Union européenne consacrera son prochain sommet, les 19 et 20 décembre, à la politique de sécurité. Comment améliorer les capacités militaires et industrielles et mettre en commun les ressources en période de diminution générale des dépenses militaires? Comment intégrer des services nationaux dans une approche commune?

Un think tank européen, le European Council for Foreign Relations, vient de publier quelques réflexions à cet égard: le Conseil européen ferait bien de se pencher d’abord sur le cadre stratégique de son action et de définir ses priorités. La stratégie européenne de sécurité est en vigueur depuis dix ans. La donne a tellement changé en Europe et dans le monde depuis lors – et elle change encore! – que l’on ne peut plus se fonder sur un document qui ne reflète plus la réalité. Il est donc urgent que le Conseil charge la haute représentante, Catherine Ashton, de réunir les éléments d’une nouvelle stratégie pour l’Europe, que son successeur finaliserait et mettrait en œuvre.

Le rapport constate d’emblée que l’Union européenne perd du pouvoir et de l’influence à l’extérieur. Il y a dix ans, l’Europe se définissait comme un modèle de prospérité, de sécurité et de liberté sans précédent dans l’histoire. Elle se posait en pôle distinct mais complémentaire de la puissance américaine, et se disait confiante dans la force d’attraction de la démocratie libérale et de l’ouverture des marchés. Elle allait accueillir douze nouveaux Etats membres d’Europe centrale et de l’Est et avait contribué à pacifier les Balkans occidentaux. Aujour­d’hui, ses voisins – que ce soit l’Afrique du Nord ou les pays du Partenariat oriental – ne manifestent guère de zèle à se rapprocher de l’UE.

Une partie de la population européenne, en proie au chômage et à la crise – 26 millions de chômeurs et 6 millions de jeunes sans emploi –, se détourne des institutions de l’UE. Le soft power européen, tant vanté au début de ce siècle, est concurrencé par la montée en puissance de l’Asie. L’aide publique au développement, l’arme généreuse et efficace de l’UE, a perdu de son impact.

La foi dans un système multilatéral fort et efficient qui animait le rédacteur de la Stratégie de 2003 – au lendemain de la guerre d’Irak qui en a été la négation – a disparu. Les initiatives européennes à l’ONU, au Conseil des droits de l’homme ou encore à l’OMC sont bloquées ou fortement édulcorées par les pays émergents. Dans un monde néo-westphalien, il n’est pas facile de promouvoir un système de valeurs fondé sur la souveraineté partagée et la solidarité. Même les relations transatlantiques se sont transformées: l’Europe se démilitarise, selon le mot de Robert Gates, l’ancien secrétaire américain à la Défense. Le grand projet transatlantique aujour- d’hui est le traité de libre-échange et de protection des investissements (TTIP) en cours de négociation. Les Américains se sont recentrés sur l’Asie et laissent aux Européens le soin d’assurer la défense de leurs intérêts, quitte à les appuyer s’il y a lieu.

Il faut donc partir de ces nouvelles réalités et bâtir une politique de sécurité réaliste et cohérente pour relever les défis clairement identifiés. On conviendra que c’est là une tâche ardue dont la nécessité ne fait pas de doute.

Le «soft power» européen, tant vanté

au début de ce siècle,

est concurrencé par la montée en puissance

de l’Asie