«T’écoutes quoi, comme musique?» avait-il lancé, bercé par la cadence paresseuse de son cheval, au milieu de son Atlas natal. Ado bêcheuse de la ville, j’avais énuméré Prince, Cure, les Stones, avant de lui retourner la question. Boris Vian, avait-il répondu. C’est un écrivain, avais-je rétorqué. De retour au centre équestre, il me faisait donc découvrir Boris Vian le musicien. J’écoutais infatigablement «J’suis snob» à la rentrée, pour mieux repenser à lui durant une correspondance enflammée.

Bien sûr, l’été produit ses tubes, calibrés pour buriner la mémoire de la planète entière, et je me souviens encore de la transe déclenchée par Wham durant ma première virée en boîte, sur la Costa del Sol, à 13 ans.

Mais l’été impose surtout sa bande originale intime, un morceau qui se faufilera seul dans la tête, comme les grains de sable au fond de la valise. Après des vacances à Formentera, je passais septembre à réécouter «The Man With The Red Face», de Laurent Garnier, parce qu’il était passé en boucle dans l’enceinte d’une bande dont la gaieté m’avait guérie d’un chagrin d’amour.

Quelques étés plus tard, au retour de Syros, «Love Will Tear Us Apart», de Joy Division, hantait mon juke-box mental. Cette fois, j’étais arrivée en deuil. Et repartie avec ce morceau cathartique entendu chaque soir dans un bar où l’insouciance des habitués m’avait ramenée aux contours flous et joyeux de l’instant présent.

Quelle que soit la tristesse ou la lassitude qu’on trimballe avant d’entrer dans l’été, la douceur de la nuit et la disponibilité ambiante les diluent. Chacun rentre avec l’hymne de sa rémission. Récemment, «Fragosiriani», de Locomondo, intégrait ma compilation estivale: la version reggae d’un classique du rebétiko, ce blues grec chanté par des poètes vagabonds qui, eux, n’ont jamais dû affronter la rentrée. Et le retour cacophonique au réel.

Finalement, l’été va me manquer.


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