Dans nos sociétés occidentales, nous sommes confrontés à deux grands types de narratifs sur la transition énergétique. Le premier la présente comme un gigantesque bouleversement économique nourri par un foisonnement d’innovations technologiques. La transition entraînera une redistribution des cartes au niveau mondial: les gagnants seront ceux qui sauront produire à un prix compétitif des panneaux solaires, des éoliennes, des véhicules électriques et des batteries. Les vainqueurs seront aussi ceux qui échapperont à la pénurie de matières première en se convertissant à l’économie circulaire. Dans cette nouvelle compétition, la Chine semble bien placée pour l’emporter, tout comme l’Occident.

Dans sa forme la plus aboutie, ce narratif inscrit le développement des énergies renouvelables dans une mutation plus vaste, la quatrième révolution industrielle. La première était indissociable du charbon, la deuxième du pétrole et de l’électricité, la troisième du nucléaire, la quatrième verrait le triomphe du solaire, de l’éolien et de la géothermie.

Des craintes infondées

Les fondements technologiques de la révolution industrielle 4.0 sont, on le sait, les capteurs sensoriels, le big data et l’intelligence artificielle. Ainsi, les robots industriels deviennent peu à peu des machines apprenantes et l’intelligence artificielle associée au big data permet d’élargir de façon spectaculaire le spectre des tâches pour lesquelles la machine peut remplacer les humains. Ceux-ci se spécialiseront alors dans les tâches les plus créatives ou fortement relationnelles, comme les soins aux personnes ou l’éducation.

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Lorsque les futurologues ont popularisé ces perspectives disruptives, ils ont suscité un certain affolement. Après des décennies de chômage structurel, l’opinion – et c’est bien compréhensible – s’est effrayée de la suppression d’un nombre d’emplois sans précédent. Les experts ont eu beau expliquer que la mise en œuvre des nouvelles technologies allait créer une multitude de nouveaux emplois, les craintes ont subsisté. Elles sont pourtant infondées pour deux raisons au moins: d’abord, le processus est bien plus lent que ce qu’avaient annoncé les experts; ensuite, parce que nous vivons dans une société vieillissante, condamnée au déclin démographique: la main-d’œuvre devient une denrée rare et la durée croissante du temps de formation aggrave la pénurie.

Echapper à la pression consumériste

Venons-en maintenant au second type de narratif. Il évoque les changements de valeur et de comportements indispensables pour nous passer des énergies fossiles. À mon goût, ces discours évoquent trop souvent les privations que nous devrions nous imposer pour assurer la survie de l’humanité. En réalité, sous bien des aspects, c’est bien plutôt d’une libération dont on devrait parler. Car finalement de quoi s’agit-il? Rien moins que d’échapper à la pression consumériste, de nous affranchir des désirs qui nous affligent, de nous délivrer de l’exténuant culte de la performance, et pour beaucoup, de se soustraire aux travaux répétitifs dictés par une organisation autoritaire du travail.

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La transition écologique, c’est aussi l’affirmation d’un rapport différent à la nature (dont nous faisons partie) fondé non plus sur la conquête et l’exploitation mais sur le respect et l’amour. La biodiversité s’impose alors pour ce qu’elle est: le patrimoine le plus précieux qu’il ne faut en aucun cas dilapider pour des gains à court terme – au profit, le plus souvent, d’une petite minorité.

Les deux narratifs ne sont pas contradictoires. Toutes les grandes transformations économiques se sont accompagnées de nouvelles représentations du monde. Finalement, tout se jouera sur la répartition des gigantesques gains de productivité que les nouvelles technologies vont générer. S’ils sont employés à financer une retraite décente pour chacun, répondre à l’aspiration des nouvelles générations à trouver un équilibre entre le travail et la vie privée, et redonner aux parents le temps pour éduquer leurs enfants, alors notre futur sera non seulement torride mais plus doux.


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