Si elle n’est pas rénovée, la voie bilatérale avec l’UE est condamnée
Incidences
Renvoyer à plus tard l’accord institutionnel avec l’UE est un expédient gros de danger pour la relation durable avec l’Union européenne, note notre chroniqueur François Nordmann

Dans une négociation, il est parfois utile de se fixer une échéance: les négociateurs travaillent plus intensément lorsqu’ils sont sous la pression d’un délai à tenir. Si la volonté politique de conclure un accord existe, les pourparlers s’accommodent des contraintes de temps.
Les secrétaires d’Etat chargés de trouver une solution avec l’Union européenne sur la question de la migration viennent de faire savoir qu’ils se donnaient treize jours, soit entre le 24 juin et le 6 juillet, pour parvenir à un accord. L’Union européenne n’est pas disposée à traiter avec la Suisse avant le 23 juin, date du référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’Union. La Suisse doit tenir compte des exigences de sa Constitution et de son calendrier parlementaire: la fenêtre d’opportunité se ferme en juillet.
Il ne faut pas prendre pour argent comptant les déclarations savamment calculées
A l’approche de ce round final, les protagonistes cherchent à prendre à témoin l’opinion publique par des déclarations savamment calculées. Il faut se garder de les tenir pour argent comptant. Si un compromis se dessine, les positions en apparence intransigeantes ou figées évoluent soudainement et l’on finit par toper là.
A la fin des Bilatérales II, c’est bien une appréciation politique qui a prévalu. Les technocrates tentaient encore d’arracher – ou de refuser – des concessions supplémentaires dans le domaine de la fiscalité, quand les responsables politiques ont sifflé la fin de la partie. Ils ont estimé que les prestations consenties de part et d’autre formaient un tout équilibré, mettant fin à la discussion.
Le résultat restera incertain jusqu’au bout
Cela dit, il ne faut pas minimiser les obstacles qui restent à surmonter: y aura-t-il accord? Quel sera le lien entre l’accord sur l’immigration et celui sur les questions institutionnelles? Berne est pressée de trouver avec Bruxelles une formule permettant l’application d’un dispositif d’urgence pour freiner l’immigration en cas d’afflux soudain, et qui soit conforme au traité sur la libre circulation des personnes. Bruxelles de son côté insiste pour un nouvel accord institutionnel qui contiendrait des règles sur le développement continu du droit et sur le règlement des différends. Comment s’articuleront ces deux accords et les constructions juridiques qu’ils vont créer? C’est tout l’art de la négociation.
A ce stade nous ne pouvons en avoir qu’une vue partielle et encore floue: cela fait partie de la tactique de négociation et le brouillard ne s’éclaircira qu’à la fin. Si nous sommes «condamnés à réussir», le résultat final n’en restera pas moins incertain jusqu’au bout.
L’UDC est-elle un partenaire fiable?
La situation n’est pas plus claire sur le plan politique. Les parlementaires ont repris fermement le jeu en main. Le PDC et le PLR, sous l’impulsion des milieux de l’économie, envisageraient de s’allier avec l’UDC pour faire adopter l’accord signé avec Bruxelles. Dans ce cas, l’UDC devrait accepter une solution qui ne comporte pas de contingents. En contrepartie, les trois partis refuseraient toute mesure supplémentaire de lutte contre le dumping social. De plus, ils repousseraient à plus tard l’examen de l’accord institutionnel.
Avantage supplémentaire, l’UDC renoncerait à un nouveau référendum. Mais est-elle un partenaire fiable? Pourrait-elle se rallier à un texte qui s’éloignerait de l’initiative du 9 février 2014? C’est loin d’être acquis, et à défaut les deux partis du centre-droit devraient se retourner vers le PS pour obtenir une majorité favorable à l’éventuel accord négocié à Bruxelles. A quelles conditions?
Le Parlement ne devrait pas faire l’addition sans l’aubergiste: renvoyer l’accord institutionnel est un expédient gros de danger pour la relation durable avec l’Union européenne. C’est renoncer à la stratégie suivie depuis 2012. Surtout ce serait démontrer que la voie bilatérale ne peut pas être rénovée. Mais si elle n’est pas rénovée, elle est condamnée.
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