En tant que journaliste, producteur et présentateur d’Infrarouge, je suis tenu à une certaine prudence quand je m’exprime en public. C’est-à-dire souvent, aussi bien à l’antenne qu’à l’instant même, sous vos yeux impatients de me voir déraper. Appelons cela le devoir de réserve, ou d’impartialité. Une discipline à laquelle je m’astreins sans discuter, sachant qu’il en va du respect du téléspectateur et de la crédibilité de la chaîne.

Aussi éviterai-je, au moment d’empoigner l’affaire Maudet et passé cette précision d’usage, de vous asséner tout ce qui me passe par la tête. Le conseiller d’Etat doit-il démissionner? Selon la formule consacrée, souvent galvaudée et ici parfaitement appropriée, ce n’est pas à moi de le dire.

Une invalidation au lance-flammes

Mais au registre de mes obligations, le devoir de réserve côtoie celui de rechercher la vérité, ou au moins de ne pas tout laisser passer. Je ne peux donc pas laisser dire, répéter, partager, tweeter et hurler sur tous les tons au «lynchage médiatique» de Pierre Maudet. Un terme qui disqualifie tout sur son passage. Par agglomération, par insinuation, la grosse ficelle du lynchage médiatique invalide au lance-flammes la raison d’être de notre métier: dire les choses, quand elles sont d’intérêt public.

Non, Pierre Maudet n’est pas la victime d’un lynchage. Mes confrères ont fait leur travail. Ils ont enquêté. Ils ont révélé, ils ont interrogé. Souvent contre vents et marées. Le voyage, le mensonge, sa construction, les questions sans réponse. Et puis les soutiens qui lâchent, les retournements, l’étau qui se resserre. Oui, il y a eu beaucoup d’articles, de minutes d’antenne, d’alertes, de unes et de manchettes. Et il y en aura encore. Peut-être même aussi des dérapages et des erreurs, comme toujours. Avec son lot de scories, le traitement est à la mesure du personnage, de son envergure et de son aura.

Genève interloquée

Les médias amplifient. Ils déforment, par augmentation. Mais ils ne lynchent pas. En tout cas pas ici. Avant de passer sous leur loupe, c’est le réel qui s’est emballé. L’intéressé, ses collègues, les institutions, le parquet, les élus, les citoyens, les réseaux, le parti, sa direction nationale, ses figures, les comités de soutien: tout le monde s’est emballé.

Alors profitons de l’impartialité qui m’est imposée pour s’en tenir aux faits. Pierre Maudet s’est mis en situation de vulnérabilité en acceptant un ou plusieurs cadeaux, il a menti pour s’en défendre, il est suspecté d’avoir violé la loi et présumé innocent, mais son parti lui demande publiquement de démissionner. Et Genève est interloquée. Voilà les faits. Constater, ce n’est pas lyncher.


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