Li Hui a-t-il rencontré Volodymyr Zelensky en Ukraine? C’est ce qu’affirmait jeudi Pékin. Ce n’est pas ce que dit Kiev. Selon les autorités, l’émissaire de Xi Jinping pour l’«Eurasie» s’est entretenu avec Andryi Yermak, le bras droit du président ukrainien, et Dmytro Kuleba, le ministre des Affaires étrangères. C’est tout. Li Hui a par contre expérimenté le quotidien d’une capitale en guerre puisqu’une salve d’une dizaine de missiles russes s’est abattue sur la ville durant son séjour. Un témoignage de première main pour le diplomate d’un pays qui refuse de parler de guerre en Ukraine, et encore moins d’une agression russe contre son voisin.

Pékin décisif dans trois domaines

Ces lectures antagonistes résument l’état de la relation. Elle est au mieux ambiguë. Cette visite est pourtant un progrès. Après une année de vaines sollicitations, Zelensky a obtenu un échange téléphonique avec Xi et la venue d’un responsable chinois. Il aura constaté l’étendue du désastre en cours et la détermination des Ukrainiens à ne rien céder. La Chine peut à l’inverse faire valoir qu’elle prend son rôle de potentiel médiateur au sérieux. Li Hui était vendredi à Varsovie, puis il enchaîne avec Berlin, Paris et Moscou. Une dernière capitale où il sera de retour à la maison puisqu’il y a officié dix ans comme ambassadeur, une mission couronnée par l’Ordre de l’amitié décerné par Vladimir Poutine.

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Que peut espérer l’Ukraine de la Chine? Xi s’affichant avec Poutine pour remodeler le siècle à venir selon leurs intérêts stratégiques communs, les attentes paraissent limitées. Et pourtant. L’action de Pékin peut se révéler décisive dans trois domaines: s’assurer que Moscou ne recoure pas à l’arme nucléaire; faire pression pour maintenir le commerce de céréales; et – c’est le plus délicat – limiter les livraisons d’armes comme c’est le cas jusqu’ici. Le document en 12 points «pour une résolution politique de la crise en Ukraine» – parfois compris à tort comme un plan de paix – n’est par contre pas d’actualité. Ni à Kiev, ni à Moscou d’ailleurs. Dmytro Kuleba a répété que toute cession de territoire ou gel du conflit était exclue. Pas de cessez-le-feu qui acterait une perte en l’état.

Quelle médiation?

L’Ukraine invite en revanche la Chine à soutenir sa «formule» en 10 points pour des négociations. Une proposition faite lors d’un G20 en novembre dernier qui a été largement ignorée jusqu’ici. S’il y a peu de chances pour que Pékin s’y rallie, de plus en plus de capitales européennes s’y réfèrent publiquement. Le retour de la Crimée à l’Ukraine n’est plus un tabou. Le sort du «plan Zelensky» dépendra du succès ou non de la contre-offensive militaire annoncée depuis des mois. Est-ce pour faire une nouvelle diversion? Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, déclarait en début de semaine vouloir conduire prochainement une «mission de paix» à la tête de six pays africains. Sergueï Lavrov s’est empressé de saluer l’initiative de pays qui ont conservé pour la plupart des liens privilégiés avec Moscou, alors que l’Ukraine peine toujours à faire entendre sa voix en Afrique. Une proposition de médiation qui s’ajoute à celles de la Chine, du Brésil, de la Turquie et bientôt, peut-être, de l’Arabie saoudite.

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La réalité est qu’il n’y a à ce jour qu’une seule offre de paix sur la table: celle de Kiev. Elle implique un retrait total des troupes russes dans le respect des frontières internationales et de la charte de l’ONU et des réparations pour crimes de guerre. Zelensky en défend une nouvelle fois le principe au sommet arabe de Ryad comme au G7 d’Hiroshima. Chaque déclaration commune soutenant cette position renforce le chemin vers la paix. En dernier ressort, c’est toutefois aux Européens, et à eux d’abord, d’en décider. Car cette guerre est bien celle de leur continent.

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