Le roi est nu! La décision sans appel du peuple britannique de quitter l’UE découvre d’un coup une Suisse livrée à elle-même. Sans feuille de vigne européenne derrière laquelle se cacher, sans plan B à enfiler d’urgence, sans plus aucun faux prétexte pour repousser encore ses responsabilités. Il va falloir s’y résoudre, le Conseil fédéral et le parlement devront trancher seuls de la mise en œuvre de l’article constitutionnel «Contre l’immigration de masse». Et définir eux-mêmes les relations que la Suisse entend maintenir avec l’UE.

Il y faudra du courage et de la résolution. Or, ni le gouvernement, ni le parlement n’aiment vraiment cela. Ils n’en ont pas l’habitude. Il suffit de considérer la solution alambiquée trouvée ce mois encore par le Conseil des Etats, et avalée par le Conseil national, pour signer l’extension à la Croatie de l’accord sur la libre circulation des personnes. Ou les deux ans perdus, depuis la votation du 9 février 2014, à présenter au parlement une clause de sauvegarde unilatérale.

Le Conseil fédéral, qui misait sur des négociations rapides avec la Commission européenne pour présenter au parlement une solution acceptable par les Européens, est confronté à ses incertitudes et à ses divisions. Son dossier va filer en dessous de la pile des priorités européennes. Même si les contacts vont se poursuivre avec Bruxelles. Mais il ne faut attendre aucun accord. Les 27, ceux qui restent, seront trop pris à aménager la sortie de la Grande-Bretagne pour s’occuper encore d’un non-membre.

Et c’est tant mieux. Car sur les deux dossiers qui concernent directement la Suisse, la libre circulation des personnes et les relations institutionnelles, l’Europe est contrainte de bouger. D’une part, la question migratoire est l’une des raisons qui ont poussé les citoyens britanniques au départ. Et il faut s’attendre à ce que d’autres pays membres exigent eux aussi des réaménagements pour maîtriser l’immigration interne. D’autre part, il faudra bien que Bruxelles négocie avec Londres un cadre institutionnel adapté aux relations intenses que l’UE continuera d’entretenir avec son ancien membre. Il est difficile d’imaginer ainsi que les Britanniques, dans leur orgueil national, acceptent sans autre la solution préconisée pour la Suisse dans l’interprétation du droit par la Cour de justice de l’UE.

Pour le Conseil fédéral, qui misait sur une issue rapide des négociations, il devient donc urgent d’attendre. En espérant qu’une solution pour les Britanniques soit extensible à la Suisse. Ce qui n’autorise ni le gouvernement, ni le parlement à ignorer l’obligation constitutionnelle de mettre en œuvre l’article 121a. Il leur faudra travailler sans filet, en imaginant comment pourrait être reçue à Bruxelles une clause de sauvegarde unilatérale imposant des contingents ou la priorité nationale à l’embauche.

En politique intérieure, la sortie britannique pourrait avoir un effet salutaire. Elle devrait en effet nous permettre d’en finir avec le soupçon, continuellement entretenu par l’UDC, d’une adhésion rampante de la Suisse à l’UE. Car même les plus euroturbos de ce pays, s’il en reste, seront dans l’attente des transformations internes que les 27 devront impérativement mettre en œuvre s’ils veulent éviter l’effilochage.

Il reste à voir si le Conseil fédéral aura l’énergie et la résolution de profiter de cette pause pour relancer dans le pays un débat de fond sur l’avenir de la coopération de la Suisse avec l’UE. Ou si on nous resservira encore et toujours la soupe froide des relations bilatérales. 

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