C’était la grande interrogation de la première Fête des vignerons du XXIe siècle: qui pour chanter le Ranz des vaches, cet hymne des armaillis que j’ai appris à aimer lorsque j’ai entendu un ami fribourgeois l’entonner un soir, il y a tout juste vingt ans, quelque part au fin fond du Mali? Les organisateurs de ce qui sera le grand événement romand de l’été 2019 ont tranché en début de semaine. «Un collectif plutôt qu’un soliste», annonçait leur communiqué de presse. Le chant popularisé par l’abbé Bovet sera donc polyphonique, le mythique «lyôba, lyôôôôôôôba» ne sera pas offert à un public ému aux larmes par un seul ténor amateur, soudainement propulsé au rang de star.

Les onze heureux élus ont été sélectionnés après deux auditions qui ont vu quarante chanteurs tenter leur chance. Onze sélectionnés: on tient là une équipe de foot, le FC Armaillis, 41 ans de moyenne d’âge, avec en guise de maillot le traditionnel bredzon. Les auditions ont eu lieu au chalet des Colombettes, ces mêmes Colombettes dont parle la chanson. C’est là, d’ailleurs, que j’ai entendu pour la deuxième fois le Ranz des vaches, interprété par un vieil armailli à la barbe tombante lors d’une soirée d’entreprise. Oui, c’était émouvant.

Retour aux sources

Pour justifier cette décision de privilégier le collectif, la direction artistique de la Fête des vignerons a convoqué le passé. En 1819, le premier Ranz des vaches de l’histoire de ces célébrations à forte teneur dionysiaque avait été interprété par un collectif. Point de révolution, donc, mais un juste retour aux sources. D’autant plus qu’à l’alpage, jadis, les bergers chantaient ensemble. Il y a aussi derrière cette décision, indéniablement, une habile opération de communication. A l’heure d’une surindividualisation de la société et de la course, via les réseaux sociaux, aux fameuses quinze minutes de célébrité promises à tout un chacun par l’ami Andy, miser sur le groupe a valeur d’acte symbolique fort.

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La chanteuse gruérienne Carol Rich s’était portée candidate, de même que deux autres femmes. Au final, ce sont donc onze solides gaillards qui ont été titularisés. Du coup, je m’interroge: pour que cette «opération com» soit totalement réussie, n’aurait-il pas été judicieux de composer une équipe mixte, trois garçons en bredzon plus trois filles en dzaquillon? Certains auraient probablement trouvé la démarche facile, parce que #MeToo, parce que l’égalité et tout ça. Mais franchement, le symbole aurait été autrement plus fort. Et ce n’est pas comme si la Fête des vignerons suivante avait lieu en 2020.


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