Phylogenèse de l’invendable
Se voir refuser un manuscrit, ça fait mal. Mais on peut toujours le faire parvenir aux fétichistes des occasions manquées
Nous sommes le 11 janvier 1914. André Gide est à Bruges, il dégaine sa plume, entame une lettre. On y lit ceci: «Le refus de ce livre restera la plus grave erreur de la NRF – et (car j’ai cette honte d’en être beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie.» A qui s’adresse-t-il? A Marcel Proust, bien sûr; les futures Editions Gallimard ont en effet refusé deux ans plus tôt un sien manuscrit, Le Temps perdu. Lequel allait malgré tout rencontrer un vague succès – Du côté de chez Swann sera publié en 1913, à compte d’auteur, chez Grasset.
Proust, le chanceux, a donc été repêché. Miracle plutôt rare, on dit que les taux de refus (même si ce chiffre repose sur une part de fantasmatique) atteignent 90% chez les éditeurs d’aujourd’hui. Que faire, dès lors, de tout ce papier et de toutes ces histoires écrites mais (presque) jamais lues? Allumer un barbecue; bricoler une escadrille de planeurs; ou peut-être remplumer un édredon sans jamais faire de mal à une oie.