Nul ne sait d’où est vraiment venu le virus: d’un pangolin, d’un laboratoire de recherche virologique à Wuhan, d’une chauve-souris… Nul ne sait comment le juguler: confinement, dépistage, chloroquine, immunisation… Nul ne sait quand la pandémie finira: partie d’Asie, elle est passée au Moyen-Orient, puis à l’Europe, aux USA, à l’Amérique latine et à l’Afrique bientôt. Mais une chose est sûre, sûre et certaine, tout le monde est d’accord, c’est que rien ne sera plus comme avant!

Ainsi, les écologistes se félicitent que la folle mobilité d’autrefois soit définitivement enterrée. Les anticapitalistes affirment que ce système tant honni est enfin mort. Les ennemis de la mondialisation prédisent que les échanges internationaux ont vécu, et les délocalisations avec. Les protectionnistes prophétisent que les frontières seront durablement rétablies, et les souverainistes que les Etats retrouveront leurs prérogatives. Les europhiles estiment que l’Union sortira renforcée de la crise, les europhobes qu’elle éclatera au contraire… Tous ceux qui trouvent que le monde va mal et rêvent de révolution la devinent à nos portes, prenant leurs désirs pour des réalités. Ce que les voies complexes de la politique ne leur ont pas permis d’obtenir serait ainsi à portée de main au gré d’une pandémie désorganisatrice et salutaire.

Le retour à la normale

Quelle erreur! Au lieu de marteler des prévisions que chacun espère auto-réalisatrices, il serait plus utile de se préparer à redresser une situation qui promet d’être difficile à court et moyen terme. Car il est tout aussi possible, voire probable, que le retour à la normale soit l’occasion d’ajustements mais pas de changements profonds. Sans doute les entreprises chercheront à mieux assurer leur approvisionnement, sans doute les systèmes de santé se réorganiseront utilement, sans doute les Etats réfléchiront à une certaine indépendance pour les produits stratégiques… Mais, tout cela ne représente pas un changement de paradigme économique ou sociétal. D’ailleurs, après les grandes pandémies antérieures, le monde n’a pas changé du tout au tout. Chacun a pansé ses plaies, le choc a fini par être absorbé et tout a continué sur la lancée antérieure. On peut le déplorer, mais c’est ainsi.

Pour preuve, après le krach de 2008, qui a secoué le monde avec des conséquences financières et sociales, tout est revenu à la normale, as usual, disent les Anglo-Saxons. Bien sûr les banques sont mieux capitalisées qu’autrefois, elles se méfient des produits pourris, se renseignent sur leurs clients, dépensent un argent fou pour la compliance. Mais en réalité, on ne voit pas que le système financier mondial soit radicalement différent. Plus concentré et plus sûr sans doute, on s’y est employé.

Cela ne fonctionne encore pas si mal

A ce sujet, il est intéressant de constater que les Etats ont imposé aux grandes banques des tests de résistance, stress tests en anglais, pour évaluer leur capacité à absorber un événement important, un choc majeur. Malheureusement, ils n’ont pas envisagé de s’y soumettre eux-mêmes. Dommage car, l’eussent-ils fait qu’on n’en serait pas là aujourd’hui! Les hôpitaux publics en auraient eu bien besoin également, pour savoir s’ils étaient prêts à affronter une épidémie comme celle que nous vivons. Mais il est toujours plus facile d’imposer aux autres ce à quoi on répugne de se plier soi-même. La paille et la poutre, en quelque sorte.

Et encore, en Suisse, il semble que cela ne fonctionne encore pas si mal jusqu’ici, mais certains de nos voisins sont vraiment à la peine. Leurs finances publiques auraient, elles aussi, bien eu besoin d’une recapitalisation. Les promesses de milliards des Etats pour soutenir l’économie vont bon train, alors qu’ils sont endettés jusqu’au cou. Ce sont donc des milliards virtuels, dont l’encre n’est pas encore sèche. La Suisse a un avantage sur ses voisins: les milliards promis, elle les a! Cela lui permettra sans doute de s’en sortir mieux. Une prime à la vertu, en quelque sorte, qui sera peut-être décisive au sortir de la crise.

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