incidences
A l’approche de l’anniversaire du vote sur l’EEE du 6 décembre 1992, la scène s’anime et le débat public connaît une vigueur inespérée. On assiste même à des prises de position surprenantes de la part d’un responsable de parti gouvernemental. Par François Nordmann
Dans huit jours, l’Union européenne recevra le Prix Nobel de la paix «pour avoir contribué depuis plus de 60 ans à l’avancement de la paix, de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l’homme».
On pourrait imaginer que ce remarquable accomplissement soit au centre des discussions sur l’avenir des relations de la Suisse avec le géant qui l’entoure. On peut espérer qu’elles se hisseront au niveau historique et se situeront dans la perspective de l’évolution du continent.
Le Comité Nobel a cité quatre des principales caractéristiques d’attraction.
Le comité a sagement laissé de côté le secteur majeur de l’économie et des finances: les réalisations de l’Union européenne dans ce domaine sont également considérables, mais elles sont en crise et agissent sur l’opinion publique comme un repoussoir de la construction européenne pour expliquer l’attribution à l’UE du prix le plus prestigieux qui soit. Nous partageons ces quatre valeurs fondamentales, que nous nous efforçons par ailleurs de promouvoir dans le monde. Elles ont un immense pouvoir.
La tentation existe de magnifier l’effet des graves difficultés que traverse l’Union économique et financière et de perdre de vue l’image d’ensemble qu’offre l’UE. L’instabilité des économies au sud, la recherche incessante de nouveaux moyens pour faire face aux déficits et corriger les défauts de structure occultent la réussite du projet politique que le comité d’Oslo va honorer à juste titre.
Au cours de la même semaine, le Conseil des ministres de l’UE publiera ses conclusions sur l’état des relations avec les pays de l’AELE et donc avec notre pays. Il est remarquable que, sans attendre de connaître le libellé exact de ces déclarations, le Conseil fédéral se soit lancé dans un blitz préventif pour en souligner par avance le côté positif. Ouf! Il n’y aura pas de blocage, du moins pas maintenant, le secrétaire d’Etat Yves Rossier se rendra à Bruxelles en janvier 2013 pour donner à la Commission les clarifications d’ordre technique qu’elle souhaite encore recevoir du Conseil fédéral. Et pour obtenir l’exégèse autorisée du texte que les ministres des Vingt-Sept sont sur le point d’adopter.
Dans sa conférence de presse inopinée du 30 novembre dernier, le conseiller fédéral Didier Burkhalter a fait passer trois messages qu’il a précisés par la suite dans un entretien à la radio alémanique:1) Le dialogue avec Bruxelles sera long et difficile. Il durera plusieurs années.2) La Suisse compte quelques amis au sein du Conseil des ministres de l’UE, et les entretiens diplomatiques avec quinze d’entre eux ont porté leurs premiers fruits.3) Le pays doit se rassembler autour de la voie bilatérale, qui a les faveurs d’une nette majorité de l’opinion publique. Il n’existe pas d’alternative. Pour autant, le bilatéralisme n’est pas statique: il faut se préparer à le rénover.
Ce dernier point ne manque pas de piquant. Voici quinze jours, Ueli Maurer, le vice-président du Conseil fédéral, dénonçait le bilatéralisme tel qu’il est pratiqué par les négociateurs suisses. De son côté, Doris Leuthard, cheffe du Département des transports et de l’énergie, a laissé Christophe Darbellay, président du PDC, lancer un ballon d’essai sur la reprise de l’Espace économique européen. L’EEE aurait le mérite de régler, vite fait bien fait, les questions institutionnelles ouvertes avec l’UE et d’ouvrir le chemin de l’accord sur l’électricité si important pour le DETEC et l’économie suisse. Bref, la mise en garde du chef du Département fédéral des affaires étrangères reflète d’abord le débat qui venait de se dérouler au sein du Conseil fédéral…
Ainsi, à l’approche de l’anniversaire du vote sur l’EEE du 6 décembre 1992, la scène s’anime et le débat public connaît une vigueur inespérée. On pouvait prévoir que les anciens combattants hostiles à l’EEE allaient commémorer leur succès de l’époque autour du conseiller national Christoph Blocher. Tandis que le Conseil fédéral rompt une lance acérée en faveur de la voie bilatérale, il est plus inattendu de voir les responsables d’un parti gouvernemental briser le «tabou» de l’EEE et remettre en cause la voie bilatérale.
Mais tout cela n’est que la resucée de débats vieux de vingt ans. La solution transitoire des négociations bilatérales sectorielles arrive en bout de course: même ses plus chauds partisans admettent qu’elle doit être rénovée. Ne ferait-on pas mieux de réfléchir à une nouvelle formule plus adaptée aux défis que nous affrontons aujourd’hui, ouverte sur l’avenir et s’inspirant davantage des valeurs que le Prix Nobel entend récompenser? Curieusement, la NZZ (dans son édition du 1er décembre) et Christian Levrat, président du PS, convergent dans leur demande d’une remise à plat de notre politique européenne. Des états généraux, une grande table ronde qui permettrait de dresser le bilan de nos relations à l’UE, de savoir ce que nous voulons préserver et ce que nous sommes prêts à abandonner: n’est-ce pas la démarche unilatérale qui s’impose à la veille de la dure négociation qu’on nous annonce?
Le pays doit se rassembler autour de la voie bilatérale, affirme Didier Burkhalter. Un message qui ne manque pas de piquant, à observer l’attitude d’Ueli Maurer et de Doris Leuthard
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