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CHRONIQUE. «Switzerland Rock», le clip tourné par la section romande du parti nationaliste, va à l’encontre des racines du rock’n’roll. Faut-il rire ou pleurer?

C’était vers le milieu des années 1990, alors que je travaillais en marge de mes études dans un grand magasin de disques lausannois. Un type au look improbable débarque et me lance: «Tu as reçu mon disque?» Interloqué, je lui réponds: «Le disque de qui?» Agacé, il m’assène: «Ben de Bernie Constantin!» Cher Bernie Constantin, pardon, je ne vous avais pas reconnu.
Ce n’est que plus tard, et en retard, que je découvris le tube du rockeur valaisan, enregistré en 1982, au moment où en Angleterre The Clash trempait sa rage punk dans le bouillonnant chaudron du ska. Avec Switzerland Reggae, Constantin signait un déconnant hymne à la fête qui allait traverser les frontières pour attirer l’attention de la major Warner, avant d’être salué par Bashung et Higelin.
Trente-sept ans plus tard, voici qu’un autre titre est en passe de faire le buzz: Switzerland Rock. Celui qu’on a surnommé «l’iguane des Alpes» pour sa ressemblance avec Iggy Pop aurait-il décidé de donner une suite à son titre phare? Si seulement… Car ce Switzerland Rock n’est autre qu’un clip de campagne balancé sans prévenir sur les réseaux par la section romande de l’UDC.
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Sur la forme, on dirait une chanson écrite pour un hommage à Johnny organisé par le camping de Palavas-les-Flots. Quant au fond, il est à l’image du programme de l’Union démocratique du centre. Oskar Freysinger, car c’est lui qui a commis ce truc réunissant différents candidats, y dit «merde aux imposteurs», oppose la paisible Suisse à la malfaisante Europe. Switzerland Rock ne veut pas traverser les frontières, mais les verrouiller.
Premier degré
Lorsque Freysinger dit qu’il faut serrer la vis, on voit Céline Amaudruz qui littéralement serre une vis; et lorsqu’il parle de tirer la chasse, une main tire la chasse. Le reste est à l’avenant, car à l’UDC on ne s’embarrasse pas de vaines métaphores. Comme on se dit que personne ne remarquera que, sur un solo de guitare, la même Amaudruz fait semblant de jouer… de la basse. Plus aberrant, le clip s’achève sur un drapeau suisse rectangulaire flottant au vent. Or le drapeau officiel de la Confédération est… carré.
Mais pour moi, le pire, c’est la manière dont est ici dévoyée l’essence même du rock’n’roll, cette musique contestataire qui depuis près de 70 ans porte la voix des minorités, fustige le conformisme, vomit les valeurs conservatrices et prône la tolérance. Même Hallyday, qui n’était pas vraiment le plus progressiste des rockeurs, disait ceci en 2011: «C’est aberrant de voter pour le Front national. Ce ne sont pas mes racines, ça me fait peur.» Après avoir vu deux fois le clip Switzerland Rock, je n’ai pas peur, mais je ne sais toujours pas si je dois rire ou pleurer.
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