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La Suisse au balcon

La Suisse ne se sent-elle pas concernée par les bouleversements du monde? Le monde politique est en état de sidération

Sous le titre un peu bateau «La vie est une chance: saisissez-la!», Didier Burkhalter se borne à répéter que la Suisse souhaite maintenir ses bons rapports avec les Etats-Unis, stabiliser (!) ses relations avec l'UE et s'engager pour la paix et la stabilité dans le monde. Affolten, 7 juillet 2016.
Sous le titre un peu bateau «La vie est une chance: saisissez-la!», Didier Burkhalter se borne à répéter que la Suisse souhaite maintenir ses bons rapports avec les Etats-Unis, stabiliser (!) ses relations avec l'UE et s'engager pour la paix et la stabilité dans le monde. Affolten, 7 juillet 2016.

Hormis Bernhard Russi avec sa pub pour l'opticien, les Suisses ont horreur des élites qui offrent une vision. On n'en voudra donc pas trop au ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter, d'avoir tenu cette semaine, lors de la table ronde «Luzern diskutiert», un discours sans grandes perspectives ni fermes engagements sur les relations de la Suisse avec les Etats-Unis, l'Europe et le reste du monde. Cela au lendemain de l'élection du milliardaire populiste Donald Trump.

«La vie est une chance» de Burkhalter

Didier Burkhalter ne se distingue donc guère d'un monde politique en état de sidération et sans réflexion à partager. Sous le titre un peu bateau «La vie est une chance: saisissez-la!», le patron de la diplomatie helvétique s'est borné à répéter que la Suisse souhaite maintenir ses bons rapports avec les Etats-Unis, stabiliser (!) ses relations avec l'UE et s'engager pour la paix et la stabilité dans le monde. Rien sur les risques du protectionnisme et du repli américain annoncés dans le programme du nouveau président, pas un mot sur la montée des idéologies nationalistes et autoritaires qui s'étendent de la Pologne à la Bulgarie et jusque chez nos voisins autrichiens. Comme si ces phénomènes inquiétants pour notre continent devaient passer au-dessus de nos têtes comme jadis le nuage de Tchernobyl, ne contaminant que les champignons.

Quelle est notre Europe?

Pourtant, rien de ce qui se passe en Europe ne nous est étranger. La montée des populismes et des nationalismes autour de la Suisse, et peut-être l'arrivée au pouvoir demain du Front National en France, va nous contraindre à faire des choix. La Suisse va-t-elle se laisser entraîner vers l'Europe des frontières et des égoïsmes du Hongrois Viktor Orban, du Polonais Jarosław Kaczyński, président du parti PIS, du Bulgare pro-russe Roumen Radev? Ou au contraire se rallier aux valeurs qu'Angela Merkel semble être la dernière grande dirigeante européenne à défendre avec crédit: «la démocratie, la liberté, le respect du droit et de la dignité humaine, quels que soient l'origine, la couleur de peau, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle ou les opinions politiques»? Quelle est notre Europe? Car ce débat n'est pas une lointaine abstraction; il divise déjà la société suisse.

Peut-on se satisfaire de regarder de loin le débat européen sur les conséquences du Brexit? Dans un récent article à la revue Commentaires, l'ancien ambassadeur de France à Berne, Michel Duclos, s'interrogeait sur la possibilité d'une Europe à géométrie variable avec un statut sur mesure pour la Grande-Bretagne. Un statut qui pourrait servir de base à une zone économique et de coopération privilégié et dans laquelle pourraient prendre place d'autres pays. La Suisse ne se sent-elle pas concernée?

Comme de vieux journalistes

Enfin, il y a la question de la sécurité du continent. La menace de Donald Trump de se désengager en partie de l'OTAN et de la protection de notre continent pousse déjà les Européens à songer à coopérer pour acquérir davantage d'autonomie stratégique. Malgré son statut de neutralité, la Suisse, engagée avec l'OTAN dans le partenariat pour la paix et qui porte une grande responsabilité dans l'OSCE, ne peut pas rester en ignorant les débats qui influenceront sa politique de sécurité. Or, constatait le politologue et communicant François Chérix, «la Suisse reste dans le rôle du commentateur des événements, au balcon».

Un peu comme Statler et Waldorf, les deux vieux critiques comiques du Muppet Show, qui commentent le monde du haut de leur baignoire de théâtre. Un peu comme de vieux journalistes.