La Suisse a les hackers qu’elle mérite
Du bout du lac
OPINION. Pendant que la grande famille du numérique célébrait le futur et ses promesses ce mardi, 100 000 Romands attendaient, eux, une réduction sur les atriaux à la ferme et la saucisse au chou, s’amuse notre chroniqueur

Rien de tel que la douce ironie d’un fait divers pour vous remettre les idées en place. Ou vous ramener sur terre, si d’aventure vous planiez un chouïa. Vous admettrez que cette semaine, c’était un peu le cas de la Suisse qui se lève tôt, de Sécheron à Romanshorn.
Toute à ses fantasmes de silicone et de disruption, dopée à la destruction créatrice, son petit cœur binaire hésitant entre Joseph Schumpeter et Mark Zuckerberg, la Suisse triomphante s’est offert le grand frisson numérique sous l’égide de Digitalswitzerland et de son Digital Day (vous avez remarqué qu’en Suisse, surtout du côté de la Limmat, les initiatives qui se veulent novatrices sont invariablement des variations en anglais autour des mots «Swiss» ou «Switzerland»? Quite ironic, isn’t it?).
Malheur aux agnostiques!
Des robots par-ci, des robots par-là, de l’intelligence artificielle jusque dans les soupapes du dernier tracteur thurgovien: la semaine était résolument tournée vers après-demain. Révolution 4.0, transition numérique et pensée computationnelle, malheur aux agnostiques! Mardi, il fallait être postmoderne, ou brûler à jamais dans les flammes de la ringardise.
C’est là qu’intervient le fait divers. Jeudi matin, alors que les grands patrons du pays avaient encore le regard dirigé vers la côte Ouest, une attaque informatique d’envergure a pris tout le monde par surprise. Décidément capables de toutes les infamies, des hackers (équivalent moderne du vandale, le hacker a les faveurs de l’époque. On ne méprise jamais vraiment le hacker, le hacker fascine parce qu’il est jeune et sait se servir d’un ordinateur) ont fait exploser le site internet du… Passeport gourmand. Rien que ça.
Des fous furieux!
Ils ne s’en sont pas pris aux serveurs du Service de renseignement, ni à ceux de la centrale de Mühleberg ou de la Banque nationale. Les hackers ont vu grand: haro sur le site web du Passeport gourmand, pour le plus grand malheur de quelque 100 000 gastronomes économes. Et le jour de la mise en vente de l’édition 2018, en plus. Des fous furieux!
Du coup, double gueule de bois pour Digitalswitzerland. Premier constat: alors que tous les informaticiens du pays sont au taquet comme jamais, les pirates se baladent en sifflotant sur le réseau national. Et ça, c’est moche. Pire encore et seconde évidence: pendant que la grande famille du numérique célébrait le futur et ses promesses, 100 000 Suisses romands attendaient, eux, une réduction sur les atriaux à la ferme et la saucisse au chou. Comment dit-on douche froide en langage HTML?
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