Le dimanche 10 juin, les Européens auront quartier libre. S’il fait beau, ils iront s’embrasser devant la fontaine de Trevi, glisser sur les canaux d’Amsterdam, ou flâner au jardin du Luxembourg. Les Suisses, eux, iront aux urnes. (Oui, c’est une image. Les gens votent par correspondance, je sais. Mais le scrutin, c’est le 10 juin, et je ne vais pas changer le début de cette chronique juste parce que vous avez l’esprit de contradiction.)

Une refonte radicale du système

Nous autres Helvètes sommes donc appelés à nous prononcer sur deux objets: la Loi sur les jeux d’argent et l’initiative «Monnaie pleine». Le premier texte reste assez compréhensible malgré ses 146 articles que personne n’aura lus. Pour le second, ça se corse. Derrière une proposition toute bête (c’est la Banque nationale qui doit fabriquer notre argent), il s’agit d’une refonte radicale du système monétaire. Et les migraines commencent quand on veut vraiment comprendre la question qui nous est posée.

Si les banques sortent les dépôts à vue de leur bilan, quelles conséquences pour l’accès au crédit? Quelle est vraiment la différence entre la monnaie centrale et la monnaie scripturale? L’argent que j’ai sur mon compte en banque a-t-il cours légal? C’est quoi exactement le cours légal? Quelles conséquences un oui aurait-il sur les taux d’intérêt? Et un non? Ah bon? Euh… finalement, pour la fontaine de Trevi, il reste des places?

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Il y a cinq ans, je vous aurais dit que «Monnaie pleine» pulvérisait les limites de la démocratie directe. Si, de l’aveu même du professeur Sergio Rossi, les subtilités de la monnaie ne sont compréhensibles que par quatre personnes dans le monde (dont lui), quel sens cela pouvait-il bien avoir de demander leur avis à tous ceux qui n’y comprennent rien (dont moi, même si j’ai un peu potassé le sujet depuis)? Aucun.

Eh bien j’avais tort. Je m’en suis rendu compte en parlant de «Monnaie pleine» – et d’autres initiatives absconses avant elles – avec mes amis européens. Je m’en suis rendu compte en voyant poindre l’envie au fond de leurs yeux écarquillés: pourquoi ne nous pose-t-on pas ces questions à nous? Pourquoi nous, Français, Italiens, Allemands, sommes-nous juste bons à élire des députés, ou un président, qui feront à peu près ce qu’ils veulent jusqu’à ce qu’on les remplace par d’autres?

Dans les pupilles désenchantées de mes amis, j’ai vu une évidence: la Suisse est la seule démocratie du monde. Du platane à replanter sur la place du village à la refonte de l’ordre monétaire, les Suisses ont leur destin en main. Et ils sont les seuls à l’avoir. Le privilège vaut bien quelques dimanches perdus, même s’il fait beau.


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