Précepte d'un vieux cyclotouriste: on n'emmène pas un braquet de déménageur avant d'être bien sur sa selle. Ce par quoi il faut entendre avoir trouvé le bon rythme cardiaque, avoir dévidé ses problèmes au fil des kilomètres et pouvoir dominer son esprit. Comme quoi, chez le cycliste amateur, le siège de la pensée se loge dans des endroits surprenants. Commençons donc par mouliner souple.

On ne sait pas si c'est sous l'influence de l'ancien officier cycliste Ueli Maurer ou si c'est simplement la leçon tirée de l'échec de l'Espace économique européen en 1992, mais le Conseil fédéral ne semble plus aussi soucieux d'aboutir rapidement à un accord-cadre avec l'UE. Malgré les pressions de Bruxelles, notamment par le blocage d'un accord sur les normes techniques pour l'exportation de machines de précision, la présidente de la Confédération Doris Leuthard a fait savoir qu'elle ne croyait pas à un accord institutionnel sous sa présidence. Signer un tel traité, avec l'ombre des «juges étrangers» et sans avoir résolu les problèmes internes, reviendrait à s'affronter aux 18% du col de La Croix sans préparation. Or on sait que c'est pour avoir forcé l'objectif de l'adhésion à l'UE avant le vote sur l'Espace économique que le Conseil fédéral a récolté un refus le 6 décembre 1992. Trop d'ambition, pas assez de souffle.

Confirmer les bilatérales

Avant de songer à présenter au peuple un éventuel accord institutionnel prévoyant le règlement des différends sous l’œil de la Cour européenne, il est donc impératif de régler les problèmes internes. Avec systématique. Donc apaiser d'abord les craintes liées à l'immigration et retrouver la confiance des Suisses. Retisser le lien perdu entre la libre circulation et les accords bilatéraux.

Lire aussi: Trois ans après le 9 février, les angoisses des Suisses sur l'immigration restent intactes

Cela passe aussi par la mise en œuvre de l'article constitutionnel 121a «contre l'immigration de masse» et la loi d'application, avec la préférence pour les travailleurs suisses Or la loi est attaquée par un référendum incertain. Mais surtout il faudra faire la démonstration de l'efficacité de la préférence nationale et des mesures d'accompagnement. Cela demande du temps.

Deuxième exigence, confirmer dans la Constitution l'attachement des citoyennes et citoyens aux accords bilatéraux et la relation particulière de la Suisse avec l'UE. C'est l'objectif de l'initiative RASA qui vise à abroger l'article 121a. Nous aurons sans doute à voter sur un des deux contre-projets mis en consultation. Dont un a pour but de plébisciter la relation bilatérale actuelle avec Bruxelles. Cela prendra au moins trois ans. Avec une énorme incertitude: que se passerait-il en cas de non, notamment par une majorité de cantons? Là dessus viendront se greffer les tensions liées au lancement de l'initiative annoncée par l'ASIN et l'UDC pour dénoncer l'accord sur la libre circulation et/ou tout traité institutionnel.

«Wait and see»

Dans les trois années qui viennent l'environnement apparaît peu propice à la ratification d'un accord qui, aux yeux d'une bonne partie de l'opinion, apparaît déjà comme une atteinte à la souveraineté nationale. D'autant que chez les partisans des bilatérales toujours plus de voix se font entendre, comme l'ancienne ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey ou l'ex-secrétaire d'Etat Michel Ambühl pour attendre l'orientation que prendront les négociations du Brexit: «Wait and see». Se laisser glisser dans le peloton.

Lire également: Pour la population, les «bilatérales» sont vides de sens, révèle une étude

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.