Suivre quelqu’un, jusqu’à la guillotine, comme Fanny Ardant
Sous mon sein, la grenade
OPINION. Notre chroniqueuse revient sur la cérémonie des Césars. Elle parle de la détestation commune qui lui fait peur, et de ce qu’il reste d’humanité au milieu d’une foule qui hurle

«Je suivrais quelqu’un jusqu’à la guillotine, je n’aime pas la condamnation.» Au moment de la curée des Césars du cinéma français, vendredi soir, elle n’a pas baissé les yeux, Fanny Ardant. Elle ne tremblait pas, ni de culot supposé, ni habitée par la moindre provocation. Questionnée sur Polanski, elle a parlé d’une affaire bien plus compliquée que le bien et le mal. Une relation entre deux personnes. Car pour haïr bien, il faut ne pas connaître, ou si peu, tout le monde sait ça. Elle connaît cet homme, Roman Polanski. Elle ne l’absout pas, elle lui est fidèle. Et de toute sa réputation, et de tout son amour, elle a fait barrage.
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Je voudrais être délicate et pouvoir dire que Fanny Ardant m’a touchée. Je voudrais pouvoir le dire sans me faire interrompre, insulter, rajouter façon hashtag sur une liste des gens à détester jusqu’à la fin du monde. Sans que cela soit aussitôt compris comme la défense de tous les violeurs et de tous les pédophiles de la terre. Je n’entends pas juger la colère des unes, l’indignation des autres. Dans un moment d’élévation paradoxal, l’actrice s’est mise sur un autre plan que celui du champ de bataille où s’affrontaient les deux camps. Elle nous parlait d’une voie distincte, où le sens du tragique de nos existences éclatait.
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Lorsque la foule conspue
Je me suis demandé qui, moi, je suivrais «jusqu’à la guillotine»? Capable de soutenir sans prendre d’autre parti que celui de l’amitié et de l’amour. Je me suis répété cette phrase qui élève et rend moins bête. Longtemps, je l’ai fait rebondir dans mon esprit et dans mon âme, pour la comprendre un peu. Dans ces mots de Fanny Ardant réside ce qu’il reste lorsque tout le monde hurle, lorsque la foule conspue, hait. Demeure l’humanité dans ce qu’elle peut avoir de plus noble.
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On s’approche ainsi d’une vérité qui n’est ni celle de la justice des femmes ou des hommes, ni celle des rassemblements sur les trottoirs, ni encore des réseaux qui invectivent. Fanny Ardant nous rappelle devant les portes de l’enfer que même au diable demeure une part d’ange, ce qui ne surprendra que ceux qui n’ont pas lu la Bible. Ce qui m’a déchiré le cœur, c’est que je cherche partout des gens à aimer comme elle les aime.
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