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Le syndrome de la muleta

OPINION. Le principe du leurre, c’est qu’il dissimule l’essentiel. Le temps n’est-il pas venu d’expliquer au taureau qu’il fait fausse route?

Cristina Quicler/AFP — © Cristina Quicler/AFP Photo ©
Cristina Quicler/AFP — © Cristina Quicler/AFP Photo ©

Quel est le point commun entre un chasseur et un MacBook Air? Vous ne voyez pas? C’est normal. Moi-même, j’ai mis du temps à trouver. Et pourtant cela saute aux yeux et c’est le cas de le dire: tous deux agissent sur le débat public comme la muleta sur le taureau andalou. Agitez-la dans l’arène et la bête ne verra plus que la muleta, ne pensera plus qu’à la muleta et chargera la muleta jusqu’à l’épuisement. Le taureau ignorant à ses dépens que la muleta n’est qu’un leurre, qui lui dissimule l’essentiel.

Commençons par le chasseur. Celui-là même qui dessoude surfeurs et vététistes aux quatre coins du royaume et enflamme la chronique de l’automne. Depuis l’ouverture de la chasse et à la (dé)faveur de plusieurs accidents graves, le chasseur est devenu l’homme à abattre. Le salaud, c’est le chasseur. Le crétin, c’est le chasseur. Le déviant, c’est le chasseur. Le siècle étant animal, le chasseur incarne à lui tout seul la laideur de l’ordre carnivore. Il y a peu, c’était l’abattoir; désormais, c’est le chasseur.

Loin des foudres

Autant vous le dire tout de suite, je n’ai aucune appétence particulière pour la chasse. C’est comme ça, je me vois mal aligner pour le plaisir un Bambi qui ne m’a rien fait. Passé cette réserve, je suis obligé d’admettre que la chasse – à courre, à cor, à cri ou au furet dans la forêt de Rambouillet – n’est probablement pas la plus imminente des menaces qui pèsent sur le règne animal. Pendant que l’opinion solennelle vomit les chasseurs, le poulet en batterie et le bœuf aux hormones saturent les congélateurs industriels, loin des foudres de l’indignation publique. Syndrome de la muleta.

Changement de paradigme

Le MacBook Air, c’est pareil, mais à l’envers. Mardi, Apple dévoilait son nouveau modèle, «en aluminium 100% recyclé». Gros changement de paradigme devant un parterre acquis et médusé. Un keynote new-yorkais et, hop!, la pomme de Cupertino devenait championne de la durabilité sans carbone, sous vos applaudissements. L’an passé, Greenpeace avait déjà classé le fabricant parmi les meilleurs de sa classe, option environnement; cette année, Apple et son MacBook Air reçoivent les félicitations du jury mondial.

Tout à son enthousiasme ravi, la planète reconnaissante jettera quand même son iPhone, son Mac et son Apple Watch à la poubelle dans la seconde où la version suivante sera mise sur le marché. Mais qu’importe l’obsolescence programmée puisque le MacBook Air est en aluminium recyclable à 100%. Vous entendez? A 100%! Syndrome de la muleta.

Je me demande si le temps n’est pas venu d’expliquer au taureau qu’il fait fausse route.

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