On ne sait pas lequel a pris exemple sur l’autre. Mais au moment où Xi Jinping obtenait de l’Assemblée nationale populaire un changement de la Constitution chinoise lui permettant de briguer à vie un mandat présidentiel, le conseiller fédéral Ueli Maurer annonçait son intention de rempiler au moins jusqu’en 2023. Et s’il lui en prend l’envie, bien au-delà. Longue vie à Xi Jinping et à Ueli Maurer!

La Suisse est l’une des rares démocraties où, sauf accident regrettable, un membre du gouvernement choisit librement le jour et l’heure de son départ. Pas de limitation constitutionnelle, de vote de confiance, de motion de censure, de renversement de gouvernement ou de procédure de destitution.

Rituel dérisoire

De sorte que la réélection du Conseil fédéral, tous les quatre ans, est devenue un rituel dérisoire et sans enjeu, sinon par le score personnel de chacun. Cela ne fait pas encore du ministre des Finances Ueli Maurer un potentiel empereur à vie, comme la presse suisse l’a écrit pour Xi Jinping, mais on s’en rapproche. Car, tout comme la sainte Trinité est Dieu en trois personnes, le Conseil fédéral est à la fois chef d’Etat en sept personnes et gouvernement collégial, sans premier ministre responsable devant le parlement.

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On ne connaît dans l’histoire que quatre conseillers fédéraux à ne pas avoir été réélus. Au XIXe siècle, le Bernois Ulrich Ochsenbein, en disgrâce dans son canton et parti à la chasse le jour de la réélection, et le Genevois Jean-Jacques Challet-Venel. Plus proches de nous, en 2003, l’Appenzelloise Ruth Metzler en raison de la modification des équilibres politiques, et en 2007 Christoph Blocher.

Tout aussi rarement, une conseillère ou un conseiller fédéral peut être poussé(e) vers la sortie par ses propres amis. Ce fut le cas de Paul Chaudet après le scandale des avions Mirage et d’Elisabeth Kopp, soupçonnée puis blanchie de l’accusation de violation du secret de fonction. Ainsi, une fois élu, un membre de l’exécutif peut sans inquiétude planifier une carrière de dix ans ou plus. Quinze ans pour Moritz Leuenberger, quatorze pour Jean-Pascal Delamuraz, douze ans déjà pour Doris Leuthard.

Obsolescence programmée

Quelques cantons (Jura, Fribourg) limitent le nombre de mandats successifs à l’exécutif et plusieurs partis cantonaux, notamment à gauche, imposent une obsolescence programmée à leurs élus. Mais le débat s’agissant des conseillers fédéraux n’a jamais vraiment eu lieu. Les initiatives parlementaires des Verts et d’Isabelle Moret, en 2009-2010, ont fait long feu. Non sans quelque raison, la conseillère nationale vaudoise argumentait qu’«en huit ans, soit un conseiller fédéral a réussi à entreprendre toutes les réformes qu’il envisageait dans son département, soit il n’y réussira de toute façon jamais. Dans les deux cas, du sang neuf est nécessaire.» Permettre l’émergence de pensées nouvelles tous les dix ans ne lui semblait pas une exigence démesurée. Cela devait aussi éviter aux ministres en place de nourrir trop longtemps l’illusion d’être irremplaçables.

C’est un pouvoir trop grand que d’avoir seul la capacité de choisir la durée de son mandat, contraignant ainsi parlement, partis politiques et prétendants à faire antichambre. Dernière jouissance du seul vrai pouvoir fédéral: faire attendre.

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