La Suisse change de président comme on se passe les plats à table, à la cantine. Machinalement, sans trop faire attention à la présentation et au manque de sel.
Ueli Maurer aura été un président comme on les apprécie dans ce pays. Fade. Un président couleur de muraille, passe-partout, sans prétention. Sans grandes visions non plus. Il ne nous a pas fait honte, il ne nous a pas rendus plus fiers. Mais proche des gens, ce qui compense tout.
On mettra d’ailleurs sur le compte de la maladresse ses propos passant l’éponge sur le massacre de la place Tiananmen en 1989. Parfois, comme pour chacun de nous, la parole lui vient avant la pensée.
Même s’il s’en est plutôt bien sorti avec ses discours devant les grands de ce monde, au WEF de Davos ou lors de l’Assemblée générale de l’ONU, ses discours ne faisaient que réchauffer, dans une casserole diplomatique, le vieux fond de sauce de l’UDC: la souveraineté attaquée, la démocratie à nulle autre pareille et David contre Goliath.
Mais au fil de ses interventions, il nous a dessiné un environnement de menaces, de pressions et d’hostilité. Plus récemment, au Forum de Lucerne, il a prédit à la Suisse «la fin de la souveraineté» si elle devait accepter les juges étrangers lors des négociations avec l’UE. Le monde selon Ueli Maurer est d’abord méchant. Il n’y aurait rien à en espérer pour la Suisse.
Nous sortons de cette année présidentielle saturés de ce discours. «Les fantômes qui vont dans les ténèbres, les flèches qui volent le jour et les démons de l’heure de midi», nous voilà comme Sœur Angélique dans Port-Royal, «fatigués d’en avoir peur, repus de leur haine».
Au nom de la souveraineté et de la sécurité, Ueli Maurer préférerait nous éviter tous les risques, donc nous priver de tous les possibles, fortifier toutes les ouvertures. Et mettre la tête dans le sable face aux défis et aux opportunités de notre position au cœur du continent.
Fort bien, c’est un choix. Mais alors, qu’a fait le ministre de la «meilleure armée du monde» en apprenant les activités d’espionnage des services américains sur sol suisse? Lui, le défenseur de la sphère privée – du moins lorsqu’il s’agit du secret bancaire –, a banalisé l’intrusion des services étrangers dans l’intimité de ses concitoyens ou le secret des entreprises. «La Suisse a toujours et sera toujours espionnée. On doit relativiser cette excitation», dit-il, en refermant le couvercle sur la collaboration des services secrets avec les grandes oreilles de la NSA.
Ce n’est pas qu’Ueli Maurer ne prenne pas au sérieux l’intrusion américaine dans nos laboratoires, nos bureaux de recherche ou la chambre à coucher des Helvètes. Mais, en bon politique, il a appris que ce que l’on ne peut empêcher, il faut en nier la menace.
Ce fut une présidence autruchienne.
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