Révolution de palais
Le Palais a un seuil de tolérance au français. Une demi-heure sans allemand, c’est trop, selon notre chroniqueur

«Je vais le dire en allemand, sinon je ne serai pas compris.» Ainsi parla un ministre romand, jeudi au Conseil national. Et il a raison. Si on veut être compris par tous, au Palais fédéral, il faut parler allemand. Contrairement à une idée reçue, les Romands ne sont pas les cancres linguistiques de Berne. De nombreux élus alémaniques ne comprennent pas un mot de français. Notamment à ma droite. Quand je débattais avec Mörgeli, à l’époque, ses collègues bilingues répondaient à sa place: il ne comprenait rien. Et il n’est pas le seul.
De l’humour zurichois
Jeudi dernier, un ministre romand parla donc allemand. Il y eut alors, oh magie, une minute d’attention dans la salle. Quand un welche parle allemand, ça surprend. Puis, le ministre reprit son speech en français. Les élus alémaniques reprirent, eux, leur vie normale. Car, oui Madame, au-delà de l’effet de surprise, parler français au Conseil national génère des décibels dans l’assistance. D’abord dix décibels d’inattention. Puis, au fil des minutes, ajoutez dix décibels d’impatience. Et dix autres d’agacement. Berne a un seuil de tolérance au français. Une demi-heure sans allemand, c’est trop. Surtout à ma droite. «Quelqu’un peut le faire taire?» lança un collègue. Un autre prit la parole à la tribune, au bout de trente minutes d’apnée. Il salua la «brève intervention à la Fidel Castro» de notre ministre. De l’humour zurichois.
Il faut dire que Köppel est un grand comique. Puisque c’est de lui qu’il s’agit. Le propriétaire de la Weltwoche prit soin de démontrer comment on intervient dignement au parlement. Il a d’abord critiqué le message «de 422 pages» du Conseil fédéral. Un chiffre répété trois fois, pour bien souligner que les textes gouvernementaux sont trop longs. Comme les discours des ministres, surtout quand ils sont en français. Puis, il a dénoncé les mensonges d’Etat, son dada. Avant de citer la Vérité, rapportée par la Bible, son journal, la Weltwoche. Outre la subtile tautologie consistant à démontrer qu’on a raison en se citant soi-même, on notera l’élégance de l’élu qui profite du parlement fédéral pour faire de la pub. Se servir des institutions qu’on vomit toute l’année dans son canard pour vendre ce même canard, c’est fort. Pas drôle, Köppel, mais diablement efficace.
Moralité: pour que le Parlement fasse du bruit sans vous écouter, ou simplement pour ne pas être compris, tapez 1; pour être compris, vendre votre business ou critiquer le gouvernement, tapez 2. Et tapez fort.
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