La voiture, increvable bulle de liberté
Mobilité
Historiquement synonyme de liberté, la voiture colle toujours à cette image. Outre l’aspect pratique, elle est le cocon où l’on peut fumer, s’énerver, chanter fort, et plus si entente

La voiture est un paradoxe sur roues. Elle pollue, tue, coûte cher, nous fait pester dans les bouchons, et demande des réparations. Malgré une liste interminable de contraintes, malgré l’amélioration des transports publics et la conscience écologique qui nous hante, rien à faire. La bagnole reste un sacré symbole de liberté. Pourquoi?
Au départ, bien sûr, ce sentiment était intimement lié aux facilités de déplacement. Puis les années 1960 ont vu émerger les road trips, et leur imaginaire désormais ancré dans l’inconscient collectif. Le rêve, l’évasion… La Route 66 aux Etats-Unis, entre autres, a été largement utilisée au cinéma, en musique ou en littérature, comme un symbole de liberté.
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En France, la route des vacances fut glorifiée par Charles Trénet: «L’amour joyeux est là qui fait risette, on est heureux Nationale 7». Aujourd’hui plutôt synonyme de stress et de bouchons, elle reste mythique, malgré tout.
S’approprier un temps à soi
D’autres paramètres augmentent la résistance à utiliser les transports publics. Nous connaissons les aspects pratiques qui nous poussent à ce besoin de flexibilité, mais il est moins évident de mesurer le vent de liberté qui se joue dans l’habitacle, surtout lorsqu’on conduit solo. C’est en effet dans ce cocon que les fumeurs peuvent torailler sans risque de représailles, et que l’on peut chanter très fort sur la musique qui nous plaît, sans se faire brimer.
C’est également là que l’on se permet d’insulter «l’espèce de gros c** là devant» sans le moindre risque de retour de bâton, que l’on peut s’adonner à la sculpture sur crotte de nez ou – en parlant de vent de liberté – évacuer le cassoulet de la veille sans déranger personne.
«En sociologie urbaine, on s’appuie sur des facteurs psychosociaux. Les habitudes, les routines, les représentations, et les rapports complexes que l’on peut avoir avec la voiture», explique le chercheur au Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL Guillaume Drevon. «Souvent, les chercheurs se basent sur le fait que les personnes vont choisir leur mode de transport en fonction d’une logique comparative entre les différents moyens à disposition. Cette approche est discutable. D’autres éléments nous montrent que la liberté associée à la voiture, comme le fait de s’approprier un temps que l’on ne pourra pas s’approprier par ailleurs, sont un sacré facteur de résistance au report modal. Nous sommes des êtres complexes, et nous sommes prêts à payer plus pour continuer à utiliser notre voiture plutôt que les transports en commun. Même s’ils sont plus rapides et efficaces.»
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Etude sur 8000 Européens
Caroline, 42 ans, s’estime «frappadingue de la voiture», et se reconnaît dans ce profil. «C’est une soupape, un cocon sécurisant. Même si l’autoroute est stressante, j’écoute la radio, je chante, je fume, je parle tout haut. C’est là que j’ai des associations d’idées, des pensées flottantes. Je suis dans un état de semi-vigilance. Dans les périodes où je n’avais pas le moral, j’allais rouler en écoutant de la musique.»
Selon les résultats d’une récente étude menée par les chercheurs du Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL sur 8000 personnes de 14 à 17 ans (France, Italie, Allemagne, Espagne et Grande-Bretagne), l’automobile est encore jugée positivement par les jeunes Européens. La conscience écologique est présente pour eux, mais apparaît restreinte. La sécurité, pour les adolescentes, est par ailleurs un point crucial.
Guillaume Drevon observe également un retour du lien social autour de la voiture, avec l’apparition de plateformes de covoiturage comme Blablacar, l’autopartage ou encore le regain d’intérêt pour le road trip en bus VW. «La lutte pour encourager les gens à utiliser les transports publics n’est clairement pas gagnée.» On n’a pas fini de chanter «On the Road Again» au volant…
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