Cette fois, les snipers des réseaux sociaux m’ont eue, je suis touchée. Ils ont touché un organe vital chez moi, mon cerveau. Mon encéphalogramme est totalement plat. Tout est gris, une sorte de coma artificiel. Je ne comprends plus ce monde de censure, ou plutôt si, mais ce que je comprends me fait terriblement peur, et la peur, c’est bien connu, empêche de réfléchir.

Dans les pièces de Shakespeare, le bouffon, s’il n’est pas suffisamment subtil, lèche-cul, mielleux ou agressif, est condamné par le roi à être exécuté. Tout est une question de dosage pour le bouffon, et là j’ai dû me tromper dans les proportions. Mais aujourd’hui, c’est très compliqué pour un vieux bouffon de savoir qui porte la couronne dans le royaume des réseaux sociaux, parce que dans ce royaume-là tout le monde peut s’autoproclamer roi. Alors forcément il y a un peu de tout. De bons rois mais aussi des fous furieux. Par exemple des petits dictateurs qui règnent sur la pensée et la culture. Des petits rois qui ne savent plus faire la différence entre fiction et réalité, qui aplatissent tout, et qui agitent leurs petits sceptres dans tous les sens pour dicter au peuple ce qu’il doit dire ou ne pas dire. Et surtout de quoi il doit rire ou ne pas rire.

Le variant «censure»

En tant que vieux bouffon curieux, malgré l’adage consolateur «C’est dans les vieux «wokes» qu’on fait les meilleures soupes», je me demande de quoi riront ces nouveaux rois, je me le demande… C’est une des grandes questions qu’ils devraient se poser avant de bâtir leur futur royaume en deux dimensions. Parce que le rire fédère, il augmente le capital sympathie, c’est bien connu. Et ils vont en avoir besoin. Je l’ai toujours dit: «Une comédie, c’est une tragédie qui s’arrête au bon moment.» Eh bien, là je pense que c’est le bon moment. Avant que ça ne tourne mal. Je laisse la jeune et talentueuse nouvelle génération d’humoristes suisses à la lourde tâche qui les attend, celle de se faufiler entre les barbelés de la censure pour continuer à vous faire rire. Parce que «Rire, c’est bon pour la santé». Et ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’assurance Helsana.

En cette période incertaine où le nouveau variant «censure» semble encore plus contagieux que le rire, qu’ils prennent une bonne assurance, ces jeunes humoristes, avec une toute petite franchise, sinon ils vont payer le prix fort. Ou alors pas de franchise du tout, la lèche, c’est moins risqué. Qu’ils fassent bien attention, moi je l’ai chopé, le variant «censure», et à cause de lui j’ai perdu une bonne partie de mon travail et de mon revenu. Et il se répand à toute vitesse. Il sera bientôt dominant, si ça se trouve.

Bientôt des écrivains, des journalistes, des philosophes, des cinéastes, des acteurs perdront les leurs, si on laisse faire au nom de la pensée unique. Moi, je me mets en quarantaine forcée et je tire ma révérence. Certainement pas devant le roi, lui je l’emmerde de toute mon âme, mais devant vous. Quand le bateau ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, la fuite reste souvent la seule façon de sauver l’équipage. La fuite permet de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l’horizon des calmes retrouvés. Merci d’avoir suivi et commenté mes vidéos comme vous l’avez fait. Si sincèrement. En aimant parfois, parfois moins, parfois pas du tout. Bon vent! Ça va aller… Et Toc!


Note de la rédaction en chef

Claude-Inga Barbey a décidé de cesser sa série TOC sous forme vidéo. Elle reviendra dans les colonnes du Temps dès le 17 janvier, dans un autre format, mais avec la même voix. Celle d’une grande comédienne, d’une humoriste qui porte un regard décalé sur le monde dans lequel nous vivons. Un regard que nous estimons essentiel. LT

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