Des trois documents de politique étrangère publiés la semaine dernière par la Berne fédérale, le plus subtil est sans conteste le discours prononcé par M. Walter Thurnherr, chancelier de la Confédération, à la journée de TX Media à Zurich le 30 janvier. Les deux autres sont des rapports administratifs, l’un portant sur l’exécution de la politique étrangère depuis 2016; l’autre, issu de vastes consultations au sein de l’administration, décrit la stratégie du Conseil fédéral pour les années à venir. La politique européenne – un des rares échecs mentionnés dans le rapport – a été marquée en 2019 par la recherche à l’interne d’une solution consensuelle qui permettrait de conclure un accord institutionnel avec l’UE. A défaut, la Suisse appliquera son plan B: «Elle continuera d’élaborer en 2020, à titre prévisionnel, des mesures permettant d’atténuer les effets négatifs éventuels d’une absence d’accord institutionnel…» En conférence de presse, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a refusé d’indiquer la date à laquelle le Conseil fédéral compte soumettre ses demandes de clarification à l’UE – en tout cas pas avant la votation du 17 mai 2020 sur la libre circulation.

Gouvernance numérique

Pour le reste, la Suisse étendra sa politique de bons offices, officialisera sa candidature au Conseil de sécurité au mois de juin prochain, poursuivra la réalisation des objectifs du développement durable et de l’Accord de Paris, et coopérera avec ses partenaires pour développer l’architecture mondiale économique, monétaire et commerciale. Nouveau domaine d’action, la numérisation et l’ambition de faire de Genève l’un des pôles de la gouvernance numérique mondiale… Le DFAE continuera à cultiver les pays qui jouent un rôle majeur dans le monde, ainsi que les organisations internationales: on nous annonce trois rapports plus détaillés en cours d’année, l’un sur le Moyen-Orient, l’autre sur la Chine et le troisième sur la Russie.

Le chancelier de la Confédération, quant à lui, n’utilise pas la langue de bois. Il se livre avec beaucoup de sagesse et d’humilité à un vaste examen des conditions dans lesquelles se déroule le débat de politique étrangère. Déjà Napoléon, dit-il, avait justifié la création du poste de Landamman de la Suisse par la nécessité de n’avoir qu’un seul interlocuteur: sinon, il faudrait attendre que chaque canton et la Diète se prononcent sur ses propositions et fournisse la réponse longtemps après que la question posée eut perdu son intérêt… Ce n’est au fond qu’à partir de 1995, sous l’effet de la crise des fonds en déshérence et de la mise en cause du secret bancaire, que la Suisse a éprouvé le besoin de se doter d’une véritable politique étrangère. La «grande» politique lui était suspecte; elle vivait jusque-là à l’ombre de la politique mondiale.

Négocier entre nous

La vérité est que nous sommes divisés sur les principaux sujets de politique extérieure: l’ONU, la libre circulation, l’accord institutionnel. Cependant, notre environnement s’est transformé au cours des vingt dernières années – cadres étrangers dans les principales entreprises du pays, révolution numérique, retrait des Etats-Unis, montée en puissance de la Chine, indécision de l’UE, etc. Mais nous préférons négocier entre nous, traiter de souveraineté et de compétences, multiplier les palabres. La clé du succès pour notre politique étrangère serait d’user sur la scène internationale le talent que nous déployons pour réseauter à l’interne, entre nous: créer des liens, échanger des idées et non seulement des biens et des services, à tous les niveaux et avec tous les Etats. Mais cela implique un engagement international et une responsabilité: nous avons profité de la paix de l’Europe depuis 75 ans, mais les générations futures seront fondées à demander: quelle a été la contribution de la Suisse? La bonne politique étrangère, c’est davantage que la gestion de nos relations extérieures plus cinq communiqués par semaine… Nous avons le savoir-faire, pas mal d’expérience, dans plusieurs domaines une grande crédibilité à faire valoir et aussi une bonne dose de confiance en soi, conclut Walter Thurnherr.


La précédente chronique: Auschwitz: ne jamais oublier  

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