Les combattants non-russes de l’armée de Poutine, révélateurs d’une société inégalitaire
OPINION. Ce sont moins les combattants non russes que ses citoyens les plus fragiles économiquement que Moscou envoie combattre, analyse Anna Colin Lebedev. Souligner qu’ils sont non russes permet surtout de leur attribuer une violence spécifique, et de leur imputer les crimes les plus violents
Le «Bouriate de combat». Cette expression circule sur l’internet russophone depuis plusieurs années pour désigner, entre admiration et dénigrement, les soldats appartenant à la minorité ethnique bouriate, apparentée aux Mongols, originaire de la région éponyme de la Fédération de Russie, la Bouriatie, au bord du lac Baïkal. Ce sont les médias ukrainiens et étrangers qui ont relevé en premier la présence de ces soldats russes au physique de type asiatique sur le front du Donbass en 2015, lorsque l’armée russe combattait déjà, sans l’avouer officiellement, les forces ukrainiennes, aux côtés des mouvements séparatistes opposés à Kiev. Si les Ukrainiens avaient particulièrement remarqué ces soldats, c’est parce que leur présence corroborait l’idée de l’intervention de l’armée russe dans le Donbass, car dans la population locale, on ne trouvait pas de groupes d’origine asiatique. «Oui, nous sommes les Bouriates de combat de Poutine», répond alors un groupe de jeunes Bouriates pro-Kremlin dans une vidéo de 2015 qui a fait le tour d’internet. Tout en niant la présence de leurs compatriotes dans le Donbass, ils endossent l’image d’une ethnie combattante en proclamant: «Si nous intervenions véritablement en Ukraine, ce serait la fin de votre junte oligarchique.» Le mème «Bouriate de combat» était né.
Lorsque l’armée russe a attaqué l’Ukraine en 2022, cette fois-ci ouvertement, les combattants bouriates se sont de nouveau retrouvés sur le devant de la scène. En recensant les retours de cercueils militaires russes au pays, les journalistes et activistes se sont rendu compte que la Bouriatie était la deuxième région de Russie en nombre de soldats tués sur le front ukrainien. La première sur la liste était le Daghestan, république peuplée également par des minorités non slaves. Des témoignages en provenance des banlieues de Kiev où des exactions terribles contre les civils ont été décrites mentionnaient encore les Bouriates. La présence d’unités armées tchétchènes (évoquées plus en détail dans l’article d’Aude Merlin ci-contre) a également été très visible. De là à dire que l’Etat russe envoyait sur le front des minorités particulièrement sanguinaires, voire sauvages, il n’y avait qu’un pas facile à franchir.