Les premiers échos recueillis mercredi soir et jeudi matin promettent un déballage assez et même totalement inédit, dans l’histoire de France. Car il est vrai qu’un chef d’Etat – François Hollande – se contemplant gouverner en temps réel, sans filtre, sans filet, sans pudeur, sans retenue, via deux journalistes du «Monde» qui relatent l’exercice dans un livre sortant aujourd’hui dans les librairies «Un président ne devrait pas dire ça», cela ne s’était jamais vu encore à ce degré d’incandescence

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«Le Monde» – dont sont issus les deux journalistes, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, constate ce matin: «S’il fait déjà le bonheur de la presse, le livre de confidences de François Hollande, qui paraît jeudi, ne remporte pas l’adhésion dans le cercle politique plus restreint des proches du candidat et de ses adversaires.»

600 pages et 61 rencontres

Il faut dire, pour tous les quidams qui ne l’ont pas encore lu – et comment le pourraient-ils à cette heure – que la cascade des révélations et des commentaires du chef d’Etat, encore pour de nombreux mois en exercice, a de quoi faire frémir et jaser. Tout y passe: l’islam («Il y a un problème», reconnaît le chef d’Etat, l’islam veut s’affirmer comme une religion dans la République), la magistrature (des lâches), les sans-dents (on l’a mal compris, mais il l’a dit), l’immigration (il y a trop d’arrivées), sa teinture de cheveux, les Verts (des cyniques et des «emmerdeurs»), l’accélération des opérations dans les affaires judiciaires de Nicolas Sarkozy, la femme voilée d’aujourd’hui qui sera la Marianne de demain – Michel Houellebecq sors de ce corps! –, l’équipe de France de foot – elle a besoin de cours de musculation du cerveau…

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Depuis, nous apprend «Le Monde», c’est opération de déminage et d’extinction d’incendies à tous les étages: «Interrogé sur le contenu de ce livre de plus de 600 pages, qui a, selon ses auteurs, été écrit après 61 rencontres avec le président, l’Elysée a précisé que «bien entendu, ces propos sont à replacer dans leur contexte à chaque fois». «Jean-Christophe Cambadélis minimise la portée de l’ouvrage», «Stéphane Le Foll salue un exercice de transparence.»

Et la presse française? Au «Figaro», c’est la consternation. Guillaume Tabard: «On hésite sur le choix du mot. Est-ce de l’inconscience? De l’imprudence? Du cynisme? Ou du masochisme? Au moins François Hollande ne pourra pas se poser en victime. Ce livre de confidences avec deux journalistes du «Monde», c’est lui qui en a accepté le principe, jusque dans l’absence de relecture des citations. Il en connaissait le moment de la parution. C’est donc lui qui a pris sciemment le risque d’un télescopage de sa propre communication. D’un brouillage de sa propre parole.»

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«Les Echos» ne sont pas plus tendres: «La première réaction n’est pas toujours la bonne, mais il arrive qu’elle le soit. Et la première réaction à la publication des confidences de François Hollande à deux confrères du «Monde» est une question toute bête et simple qu’une bonne partie de la France se pose: comment un président de la République de la cinquième puissance mondiale peut-il trouver dans son agenda le temps d’une soixantaine de rencontres avec le même tandem de journalistes? Si l’on ajoute les livres précédents sortis depuis la rentrée et dont les auteurs ont, eux aussi, obtenu de nombreux rendez-vous à l’Elysée, le total est assez impressionnant.»

«Profond sentiment de gêne»

Le directeur délégué de la rédaction, Dominique Seux, poursuit: «Ce qui est atterrant, ce sont surtout deux autres choses. On ne peut, tout d’abord, que ressentir un profond sentiment de gêne au dévoilement de l’intimité d’un homme qui est aussi celui, en définitive, d’une fonction. Si l’homme François Hollande accepte ainsi d’étaler sa vie privée, libre à lui. Mais le président ne le devrait pas. Ensuite, le narcissisme qui se dégage de cet exercice est profondément troublant. François Hollande ne consacre pas du temps à essayer de convaincre des interlocuteurs de la justesse de l’action qu’il mène au moment où il la mène, mais il le fait pour se justifier a posteriori. Pour sa campagne électorale et pour l’Histoire. Le fait que cette opération rate ne change rien à l’affaire. L’homme comme la fonction n’en sortent pas grandis.» Quant à Pierre-Alain Furbury, dans le même journal, il constate, lapidaire: «Le livre qui plombe la communication de Hollande». Même musique au «Parisien» où Nathalie Schuck observe «une stratégie risquée».

Même musique aussi dans la presse régionale française qui, du «Midi Libre» à «Sud-Ouest»; en passant par «L’Union/L’Ardennais», «n’est pas moins sévère que sa consœur nationale»: c’est l’AFP qui résume.

Et à gauche? «Libération» choisit une approche plus mesurée, en mettant en évidence le courage de l’homme. Sous la plume de Grégoire Biseau cela donne ce commentaire amène: «Dans un livre et une interview parus mercredi, le Président commente son bilan, avant de pouvoir à nouveau être dans la proposition.» En un titre: «Hollande veut régler sa note avant de recommander.»

Ce bref tour d’horizon à chaud permet au moins d’avancer ceci: la consternation de la presse française semble faire la quasi-unanimité.

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