Lorsque la pandémie fait irruption en 2020, la Confédération n’est pas préparée. Après une période de minimisation du danger, les autorités fédérales réagissent fortement une fois que les pays alentour commencent à faire de même. C’est la panique à Berne.

En sociologie des catastrophes, la panique des élites est un phénomène bien connu, au contraire de celle de la population, qui est extrêmement rare. En outre, l'étude scientifique des catastrophes souligne la régularité des dysfonctionnements institutionnels durant les crises. L’un des principaux facteurs est le manque structurel de préparation aux crises; une impréparation qui augmente elle-même les dimensions de la crise. Il y a la crise proprement dite, clairement déterminée, et la crise de la crise, c’est-à-dire la confusion des autorités et des organes de gestion de crise.

La gestion de la crise de la crise a deux fonctions: l’une opérationnelle, pour retrouver un certain contrôle de la situation; l’autre réputationnelle, pour limiter les répercussions politiques négatives de la situation. Dans ce contexte, il est fréquent que les institutions dissimulent de l’information ou que leurs responsables rejettent sur d'autres la responsabilité des événements.

Si la rétention d’information peut être nécessaire dans certains contextes, elle présente toutefois le risque d’alimenter la méfiance du public sur la durée. Au-delà d’un certain seuil, la rupture de confiance est difficile à réparer; ce qui complique davantage la gestion de crise. Inspirer et faire confiance requiert honnêteté, loyauté, reconnaissance des erreurs et amende honorable.

On retrouve plusieurs de ces dynamiques à l’œuvre dans la gestion de la pandémie, et ce dès mars 2020: à défaut d’anticipation, les autorités affirment que les masques sont inutiles pour la population générale, au lieu de reconnaître publiquement l’insuffisance des stocks pour les soignants. Lorsque l’approvisionnement est enfin sécurisé, le discours change et le masque devient obligatoire. Les autorités invoquent «l’évolution de la science» et non la sécurité d’approvisionnement retrouvée.

Cet épisode donne le ton de la gestion de crise. Les autorités rejettent, dès la fin du premier confinement général, la faute sur la population au gré des indicateurs défavorables. Du côté des médias, les messages officiels sont souvent repris sans réflexion critique, alors que les positions sceptiques ou «anti» (peu importe le type) sont discréditées. Les médias ne remplissent plus leur rôle de contre-pouvoir.

Petit à petit, la confiance se délite entre l’ensemble autorités-médias et une partie de la population. Cette dernière comble alors son malaise dans des sources d’information alternatives, plus ou moins fiables. La polarisation s’amplifie, surtout avec l’arrivée des vaccins et du certificat covid. Le clivage se durcit entre «officialistes», croyant a priori toute parole publique, et «complotistes», rejetant a priori tout discours officiel.

La rupture de confiance s’étend jusque dans les familles et les amitiés. La division mène certains à ne plus s’inviter, à ne plus se parler, voire à mettre un terme à la relation. Cette situation crée les conditions favorables à une fracture politique profonde, qui débouche sur les mobilisations hebdomadaires contre la loi covid – du jamais-vu depuis la Grève générale de 1918.

Les mesures covid sont désormais suspendues, et certaines plaies restent béantes. Pour d’aucuns, il faudra des années pour soigner les blessures; pour d’autres, la cassure sera définitive. Comme le dit l’adage, la confiance se gagne en gouttes et se perd en litres.

La restauration de la confiance est impérative pour faire face à d’autres crises: d’autres pandémies de magnitude égale ou supérieure à celle du covid pourraient se reproduire. L’hiver prochain devrait être très difficile avec la pénurie énergétique qui s’annonce. D’autres crises majeures se profilent à court, moyen et long terme, pour une partie desquelles les autorités ne sont pas préparées. Il convient alors à la fois de reconstruire la confiance avec une part humiliée de la population et d’assurer la préservation des espaces sincères d’échange et de réflexion critique, favorisant les consensus et garants de la démocratie – car la confiance ne se décrète pas, elle se construit et s’entretient.

Dans cette perspective, la confiance entre autorités et population est un bien public d’importance stratégique, dont le maintien est essentiel pour la sécurité du pays. Elle est le liant qui permet la conduite de la population quand le temps manque pour former un consensus. Elle permet à chaque habitant et habitante d’envisager la collaboration entière avec son ou sa prochaine, y compris dans l'adversité. Elle permet le sens dans le non-sens, le réconfort dans la tragédie et peut-être même l’acceptation du sacrifice dans l’injustice.

*Grégoire Chambaz, ancien rédacteur adjoint pour la Revue militaire suisse, géographe, expert des enjeux systémiques globaux et d'effondrement.

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