Opinion
OPINION. Le visionnement de vidéos en ligne est devenu un enjeu écologique majeur en raison de la consommation électrique qu’il entraîne au niveau planétaire, explique Jean-Claude Domenjoz, expert en éducation des médias. Il est important de sensibiliser les utilisateurs

La numérisation et les réseaux informatiques déployés à l’échelle mondiale bouleversent l’économie et l’ensemble des activités humaines. Ces technologies sont sources d’un foisonnement d’applications utiles dans la perspective du développement durable. Cependant, l’usage intense du numérique menace notre environnement de vie par la consommation d’énergies sales qu’il génère (énergies fossiles, nucléaire), cause de pollution et d’épuisement des ressources naturelles. Le visionnement de vidéos en ligne est devenu un enjeu écologique majeur en raison de la consommation électrique qu’il entraîne au niveau planétaire.
La consommation d’énergie due à la connexion en tous lieux et en tout temps au web est largement ignorée par les utilisateurs. En Suisse, près de 8% de l’électricité est utilisée par les infrastructures liées à internet. En outre, les ménages helvétiques consomment 7% de l’électricité totale consommée dans le pays pour alimenter leurs appareils électroniques. En comparaison, le réseau de transport par voie ferrée en consomme 5,3% et l’éclairage public 0,8%.
Consommateurs ignorants
Les consommateurs connectés ignorent le chemin emprunté par les flux de données qu’ils consomment et l’emplacement physique des serveurs (data center) qui répondent à leurs requêtes. L’«informatique dans les nuages» (cloud computing), délicat euphémisme aérien, escamote toute l’infrastructure technique qui est grande consommatrice d’électricité. En effet, la connexion continue aux réseaux a pour conséquence la consommation invisible d’électricité tout au long du chemin parcouru par les données, n’importe où sur la planète. Le visionnement en flux continu (streaming) de vidéos et de musique via smartphone est énergivore. Selon Greenpeace, 63% de la circulation mondiale de données sur internet est due au visionnement de vidéo en streaming (2015). Les principales plateformes de réseautage social cherchent à étendre leurs services d’offres de divertissements vidéo, ce qui devrait générer selon l’ONG une consommation de 80% en 2020! En visionnant une série sur Netflix, on brûle du charbon en Virginie pour alimenter des data center!
En Suisse, près de 8% de l’électricité est utilisée par les infrastructures liées à internet
L’augmentation rapide de la consommation en ligne de divertissements vidéo, souvent futiles, est devenue un phénomène planétaire, alors qu’augmentent rapidement le nombre d’utilisateurs et la consommation individuelle de ceux-ci. Le volume de données acheminées par le réseau de téléphonie mobile de Swisscom qui double tous les douze mois en est un bon indice.
L’énergie finale utilisée pour les technologies de l’information et de la communication, c’est de l’électricité, laquelle est produite principalement dans le monde en brûlant du pétrole, du gaz et du charbon (67%), par l’énergie hydraulique (16%) et par les centrales nucléaires (12%). La part des nouvelles énergies renouvelables (soleil, vent, biogaz, déchets) est de 5%. En Suisse, la production d’électricité est principalement d’origine hydraulique (56%) et nucléaire (38%), tandis que la part des énergies fossiles (2%) et des nouvelles énergies renouvelables (2%) est très faible. Mais comme on l’a vu, la consommation de divertissements vidéo dans un coin de Romandie engendre une demande de production électrique ailleurs dans le monde. Dans l’espace hyper-connecté globalisé, chacun porte une part de responsabilité!
Que faire?
Alors que faire? Recharger moins fréquemment son smartphone? L’effet sera insignifiant, car la consommation annuelle d’un chargeur ne représente que 0,06% de la consommation d’un ménage modèle (2 kWh sur 3500 kWh). Limiter le visionnement de vidéos en streaming? Cela semble hors de portée du besoin compulsif d’utiliser son smartphone du commun des mortels.
Face à la puissance des géants du web et de l’idéologie mercantiliste, il semble que l’essentiel consiste à informer et à sensibiliser la population aux enjeux pour la biosphère des usages d’internet de sorte à permettre à chacun de faire des choix éclairés, de peser sur les décisions politiques relatives à la numérisation de la société et de soutenir les organismes qui œuvrent pour sauver notre écosystème. La presse et les institutions éducatives ont un rôle fondamental à jouer pour cette nécessaire prise de conscience. Une mission essentielle supplémentaire pour l’éducation aux médias dans notre société en transition rapide.
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