Une blague, du temps des idéologies bien carrées, mettait en scène un flagrant délit d’infidélité. Trois situations étaient à choix selon l’obédience de l’homme. Fasciste, il tuait son rival. Social-démocrate, il l’invitait à une discussion. Communiste, il allait jeter des pierres contre l’ambassade américaine.

La doctrine Obama

Huit ans de présidence Obama ont rendu la blague obsolète: l’ambassade américaine se couvre d’innocence, elle ne fournit plus les services de défoulement auxquels s’étaient si bien habitués les fâchés. Barack Obama a fermé le guichet. Il explique pourquoi au journaliste Jeffrey Goldberg dans le numéro d’avril du mensuel The Atlantic. Une interview qu’il faut avoir lue pour prendre la mesure des enjeux de la politique extérieure des Etats-Unis après le désastre irakien.

L’épreuve marquante est la Syrie. Obama ne croit pas que les Etats-Unis aient pu changer le rapport de force entre «une armée professionnelle soutenue par deux grands Etats, la Russie et l’Iran qui ont de gros intérêts dans l’affaire» et «un paysan, un charpentier, un ingénieur qui ont commencé comme manifestants avant de se retrouver au milieu d’une guerre civile. L’idée, poursuit-il, que nous ayons pu changer cette équation de façon propre sans engager les forces militaires américaines n’a jamais été vraie.» Le premier devoir d’un président américain de l’après Bush, affirmait-il en privé, est de «ne pas faire de connerie» (don’t do stupid shit).

La position d’Hillary Clinton

Sa secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, militait quant à elle pour armer et entraîner les opposants. «Les grandes nations doivent avoir de grands principes, déclara-t-elle après son retrait, en 2014. Ne pas faire de connerie n’est pas un principe.» Elle s’est excusée plus tard auprès du président, mais les lignes restaient tracées et l’anti-interventionnisme de Barack Obama en Syrie est à peine moins dangereux politiquement que l’interventionnisme de George W. Bush en Irak. Il bat en brèche les idées reçues sur la puissance des Etats-Unis et le fétiche de sa crédibilité: «Lancer des bombes sur quelqu’un pour bien prouver que vous voulez des bombes sur quelqu’un est la pire des raisons pour employer la force», dit Obama.

Les pièges de l’intervention

C’est le genre de «crédibilité» qui a mené au Vietnam. Lui est obsédé par le piège des interventions qui en amènent d’autres dans une spirale où se perd la notion de l’intérêt réel des Etats-Unis. L’histoire des interventions américaines plus anciennes, en Iran, en Amérique centrale, en Indonésie le hante. Elle est «source des soupçons des autres peuples» envers les Etats-Unis. Le président se voit en réparateur plus qu’en transformateur, en contributeur plus qu’en ordonnateur.

Le livre de Michael Mandelbaum

Sa longue interview paraît en même temps qu’un livre tout aussi critique des prétentions américaines par un politologue célèbre, Michael Mandelbaum, professeur de politique internationale à la John Hopkins University. Son titre: Mission failure: America and the world in the post cold war era (Oxford University Press). Il démonte les mécanismes qui ont conduit les élites diplomatiques et militaires à investir la puissance sans précédent des Etats-Unis au sortir de la Guerre froide dans la transformation du monde.

Le geste fondateur a été selon lui la protection militaire des Kurdes d’Irak: les Etats-Unis intervenaient dans la politique intérieure irakienne. C’était sans doute une bonne action, dit Mandelbaum, mais sans qu’il y ait eu de discussion, l’objectif de la politique étrangère américaine changeait: il passait de la guerre à la gouvernance, du souci de ce que les gouvernements faisaient hors de leurs frontières à leur façon de s’organiser à l’intérieur. L’objectif, affirme l’auteur, n’est pas tenable. Toutes les opérations américaines de l’après-guerre froide ont échoué à changer les pays où elles ont eu lieu: Somalie, Bosnie, Haïti, Kosovo, Irak, Afghanistan. Mandelbaum, comme Obama, rouvre la discussion: à quoi employer la puissance?

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