Ma semaine suisse

A contre-courant

Quand revient le printemps, avec ses pics de pollution aux particules fines favorisés par l’anticyclone, et son bruyant public dans l’intercity pour le Salon de l’auto, je suis renvoyé au même dilemme: vais-je enfin me décider à acheter une voiture moderne, correcte, c’est-à-dire respectueuse du climat?

Les publicités vantant les mérites des derniers modèles de la vague verte me harcèlent. Hybrides, à gaz, au biogaz, purement électriques: les belles brillent dans les prospectus que feuillettent mes voisins dans le train. Dans la rue, sur des affiches XXL, des carrosseries rutilantes associées à des slogans simplistes me promettent la voiture propre «100% écologique». Comme si les modèles à propulsion non conventionnelle purifiaient l’air en roulant.

Rongé par la culpabilité, je songe à mon vieux bahut, croisement entre un corbillard et un char d’assaut, première immatriculation il y a 18 ans, 195 000 kilomètres au compteur, dont le moteur délicieusement ronronnant engloutit 12 litres aux 100 km – le catalogue du fabricant suédois annonce 10 litres, mais nul besoin d’avoir usé les bancs de l’université pour savoir que les constructeurs ont toujours embelli cette donnée.

Débordant d’optimisme, je me plonge dans l’Ecomobiliste, le guide annuel de l’ATE à l’intention du consommateur responsable que j’aspire à devenir. Des tableaux noirs de chiffres comparent les nouveaux modèles: bruit, émission de CO2 en g/km, type de carburant, consommation… Une valse d’étoiles les classe selon leur atteinte présumée à l’environnement.

J’ai beau avoir commuté sur «bonne volonté», j’attrape le vertige. Les meilleurs modèles atteignent des prix rédhibitoires, eu égard à mes modestes attentes vis-à-vis de l’objet utilitaire qu’est la voiture. Pas de miracle, les coûts de préservation du climat explosent. D’ailleurs, la part des nouvelles voitures mises sur le marché avec une motorisation alternative atteint péniblement 3%. L’écologie reste un luxe.

Je prends conscience que les modèles vraiment très peu polluants sont les plus petits, ce qui ne m’arrange pas car le peu que j’utilise ma voiture, c’est pour les loisirs et les vacances – j’ai besoin de place pour transporter la famille, les chats, les bagages et les vélos.

Les voitures à gaz font la course en tête, devançant les modèles hybrides économes. Je songe aux gaz de schiste dont l’extraction est dénoncée par les écolos; au pataquès ukrainien et à Poutine assis sur ses réserves de gaz naturel, les plus grandes du monde. Décidément, rien n’est simple!

Je lis que la controverse sur les agrocarburants perdure; que les automobilistes branchés ne savent pas, pour la plupart, à quel point le courant électrique alimentant leur véhicule est réellement écologique. Je devine entre les lignes (tabou!) que l’élimination des batteries des autos électriques est une horreur.

Le guide souligne que l’industrie automobile, au terme d’une dispute homérique, a adopté en 2013 un objectif moyen d’émission de gaz d’échappement pour les nouveaux modèles, dès 2020, «peu ambitieux et aisément atteignable». J’en déduis que ce n’est pas demain qu’une voiture familiale ne consommant, en usage courant, que 3 litres d’essence aux 100 km sera mise sur le marché à un prix accessible au plus grand nombre.

Le meilleur des mondes me semble bien éloigné. Je rumine ma déception et décide d’user encore une année ma vieille caisse, pauvre en électronique et technologies, mais si solide, avec sa mécanique basique qu’un ami bricoleur rafistole avec des pièces détachées d’occasion ou des neuves achetées au marché gris.

Je boude le Salon de l’auto et fais plutôt un saut à Habitat-Jardin. Attiré par un attroupement sur un stand, j’y découvre l’anneau de feu («Feuerring»). Fascination immédiate. C’est un bel objet que l’on installe dans son jardin pour y cuire viandes et poissons, légumes et fruits, de la manière la plus simple et naturelle qui soit. Retour à l’essentiel: quelques bûches de bois, un feu au fond d’une vasque d’acier dont les larges rebords accueillent les aliments. Convivialité et plaisir de se réunir autour du feu en profitant de sa chaleur. La facture artisanale du Feuerring se substitue à l’ambition technologique. Pas de combustible polluant, pas d’électricité. Pas d’entretien. Entre ma Volvo fatiguée et démodée et l’anneau de feu, anti-gril à gaz par excellence, je vois un fil rouge: une autre façon de consommer «durable».

Entre ma Volvo fatiguée et l’anneau de feu, je vois un fil rouge: une autre façon de consommer «durable»

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