Un conseiller fédéral qui veut modifier le cours de la politique du Conseil fédéral, avec laquelle il serait en désaccord, ne peut pas commencer par exprimer publiquement son opinion personnelle. Il doit définir une stratégie, choisir son moment en fonction du calendrier politique et chercher à convaincre d’abord ses pairs au sein du collège gouvernemental. Le système collégial a sa méthode et ses exigences. Celui qui ne les respecte pas est condamné à l’inefficacité. C’est ce qui est arrivé au conseiller fédéral Ignazio Cassis, et pas seulement dans la question palestinienne.

Souvenez-vous: au retour d’un déplacement en Jordanie, le 15 mai dernier, le chef du Département des affaires étrangères a remis en cause le rôle, la gestion et la philosophie de l’agence pour les réfugiés palestiniens. Admettons que la question ne soit nullement un tabou. L’Initiative de Genève, voici quinze ans, suivant les «paramètres Clinton», a proposé que, dans le cadre du règlement de paix qu’elle préconisait, Israël reprenne une partie des réfugiés, la plupart d’entre eux étant définitivement installés dans d’autres pays d’accueil, au premier chef l’Etat palestinien, avec l’aide de la communauté internationale, qui les indemniserait.

Dixième donateur de l’UNRWA

Une telle formule ne saurait s’envisager que dans la réalisation d’une solution d’ensemble aboutissant à la coexistence pacifique de deux Etats dans des frontières sûres et reconnues. On en est de plus en plus éloigné. Aucune procédure de négociation n’est en cours depuis cinq ans. L’annonce du prochain plan de paix du président Trump, dans lequel Ignazio Cassis a l’air de placer beaucoup d’espoir, ne paraît guère de nature à surmonter la méfiance, d’autant moins que l’intermédiaire s’est discrédité.

La fonction de médiateur autoproclamé de la Suisse dans le conflit israélo-palestinien relève de l’hypothèse ou du rêve. Elle n’a aucune matérialité depuis quinze ans.

Ignazio Cassis fait valoir un autre argument: le sou du contribuable. La contribution de la Suisse à l’agence est-elle justifiée? La part obligatoire de la Suisse au budget des Nations unies est de 1,4%, elle occupe le 17e rang des pays contributeurs et représente 106,7 millions de francs. A quoi s’ajoutent des participations volontaires à diverses institutions dont l’UNRWA, à laquelle la Suisse versait 27,180 millions de francs en 2017, ce qui situe notre pays au dixième rang des donateurs, après la Suède mais avant la Norvège ou les Pays-Bas. Il est légitime de s’interroger à ce propos.

Face à ces critiques, Ignazio Cassis persiste et signe. Il relativise la portée des attaques venant de la gauche. Il mettrait en danger la candidature de la Suisse au Conseil de sécurité en 2023-2024 faute de tenir compte de la nécessité de plaire à la majorité pro-palestinienne de l’ONU. Il nuirait de même à la médiation de la Suisse dans le conflit israélo-palestinien. Le thème, débattu hier au Conseil national, sera repris à la Commission des affaires étrangères du Conseil national le 3 juillet prochain.

Un médiateur autoproclamé

La politique extérieure de la Suisse doit-elle se plier à la tyrannie de la majorité aux seules fins d’être élue au Conseil de sécurité? Si c’est le cas, de quelle indépendance fera montre la délégation suisse dans l’accomplissement de sa mission au sein même du Conseil? Quant à la médiation, la seule qui soit en cours vise à favoriser la réconciliation entre l’OLP et le Hamas, parallèlement aux efforts de l’Egypte. Le moins qu’on puisse dire est que les résultats ne sont guère probants.

Pour le reste, la fonction de médiateur autoproclamé de la Suisse dans le conflit israélo-palestinien relève de l’hypothèse ou du rêve. Elle n’a aucune matérialité depuis quinze ans. En ce sens, la sortie d’Ignazio Cassis a allumé un faux débat qui le met en difficulté au Conseil fédéral. S’il veut obtenir l’aval de ses collègues, il doit avancer des arguments plus fondamentaux. Compte tenu de la paralysie qui a frappé ce dossier, dont la priorité a reculé dans l’agenda international, qu’on le veuille ou non, il n’y a pas lieu de changer la ligne définie par le Conseil fédéral. Mais Ignazio Cassis peut faire montre d’une approche moins passionnelle, encore plus équilibrée, rigoureuse, objective et impartiale dans l’exécution de cette politique.

Lire les opinions: Quand Ignazio Cassis vole au secours de la droite israélienne et A l’adresse de Monsieur Ignazio Cassis, au nom d’un jeune Palestinien


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