Opinion
OPINION. La baisse du commerce mondial pourrait atteindre entre 13 et 32% en 2020, écrit Roberto Azevêdo, directeur général de l’OMC. Les mesures prises par les gouvernements et les entreprises seront essentielles pour déterminer la voie que nous suivrons

En quelques semaines, la pandémie de Covid-19 a fait tourner en bourrique une économie mondiale régulière mais peu spectaculaire. Les fermetures d’usines et des problèmes de transport des composants à travers les frontières ont perturbé les chaînes d’approvisionnement et les mesures d’éloignement social d’urgence ont plombé la demande. Aux Etats-Unis, nous assistons déjà à des pertes d’emplois plus graves que celles qui ont eu lieu au plus fort de la crise financière mondiale de 2008.
Les projections de Wall Street concernant la chute continue de la production économique sont alarmantes. De même, nous prévoyons un effondrement du commerce mondial de 13% en 2020, voire de 32%.
Vastes mesures de relance économique
Les gouvernements ont déjà dévoilé des mesures de relance budgétaire et monétaire pour contrer les effets économiques de la pandémie. Les pays du G20 ont débloqué plusieurs milliards de dollars pour soutenir les consommateurs, les hôpitaux, les travailleurs et les entreprises de toutes tailles. Dans le monde, les banques centrales ont réduit les taux d’intérêt et mis à la disposition des banques de vastes quantités de liquidités afin qu’elles puissent continuer à prêter.
Pour autant, la demande de biens et services médicaux est en hausse. Les gouvernements et les entreprises s’efforcent de produire plus de masques et autres équipements de protection individuelle, de ventilateurs, kits de test, médicaments et – bientôt, nous l’espérons – de traitements et vaccins.
En matière de politique commerciale, les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont les Etats-Unis, la Chine, le Canada et le Brésil, ont introduit des dizaines de mesures pour faciliter le commerce des produits médicaux liés au Covid-19, en réduisant les droits d’importation et en allégeant les formalités de dédouanement et la bureaucratie en matière de licences et d’approbation. Grâce à ces mesures, ces produits seront plus abordables pour les consommateurs nationaux.
Pour des mesures «ciblées, proportionnées et transparentes»
Pourtant, d’autres mesures ralentiront le commerce, notamment celles qui freinent l’exportation des médicaments, des équipements de protection et des ventilateurs. Bien que les règles de l’OMC les autorisent en cas de pénurie ou de menace pour la santé, de telles mesures risquent de perturber les chaînes d’approvisionnement et causer de graves problèmes dans les pays les plus vulnérables qui dépendent souvent des importations pour leur équipement médical. C’est pourquoi l’appel du G20 fin mars pour des mesures commerciales «ciblées, proportionnées, transparentes et temporaires» était important.
Le commerce devra faire partie de toute réponse d’approvisionnement rapide et rentable à l’épidémie de Covid-19. Selon nos recherches, le commerce actuel de produits médicaux essentiels au traitement du Covid-19 est considérable: en 2019, les pays ont échangé pour 597 milliards de dollars de masques, gants, savons et désinfectants pour les mains, d’équipements de protection, masques à oxygène, ventilateurs et oxymètres de pouls.
S’appuyer sur les réseaux transfrontaliers
Alors que le monde tente de produire plus de fournitures médicales, il est logique de s’appuyer sur les réseaux de production et de distribution transfrontaliers existants. Les fabricants de ventilateurs doivent pouvoir produire un maximum sans chercher à s’approvisionner en composants sur le marché intérieur, ni se demander si les pièces importées ne seront pas coincées à la frontière. Nous voulons que le personnel médical dispose le plus rapidement possible de tous les équipements de protection dont il a besoin – peu importe leur provenance.
Les gouvernements ont une marge de manœuvre pour réduire leur facture de lutte contre la pandémie. Selon nos données, les droits d’importation moyens appliqués sur tous les produits médicaux essentiels au traitement du Covid-19 sont de 4,8% – 11,5% pour l’équipement de protection individuelle et 17% pour le savon à mains.
Mais il est dans l’intérêt de tous les pays de coopérer pour maintenir le commerce des produits médicaux largement ouvert. Aucun pays n’est autosuffisant, quels que soient sa puissance ou son niveau de développement. Le commerce permet de produire et de fournir de manière efficace des équipements médicaux selon le calendrier de progression de la maladie de chaque pays. Le commerce favorise aussi l’accès à la nourriture et à l’énergie. Le coup porté aux finances publiques et aux budgets des ménages sera suffisamment sévère sans pour autant rendre les fournitures nécessaires plus rares et plus chères.
L’OMC fait sa part pour aider les gouvernements. La transparence des politiques commerciales aidera les gouvernements et les entreprises à planifier leurs décisions en matière d’approvisionnement et de production. C’est pourquoi j’ai exhorté les membres de l’OMC à partager rapidement les informations sur les politiques commerciales liées au Covid-19.
La tâche est immense, mais avec les bonnes politiques, un leadership fort et une approche collective, nous pouvons limiter les dégâts et entamer ensemble le processus de redressement.
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