En acceptant de rencontrer Kim Jung-un, Donald Trump acquiesçait à une demande réitérée depuis des décennies par la Corée du Nord: établir des relations bilatérales. Contrairement à ses dires, la brutalité de ses menaces n’a pas imposé la décision. Les préparatifs de la rencontre furent hâtifs et confus. Une ambiguïté sur le contenu de la dénucléarisation n’a pas été levée.

L’ombre de l’arme atomique plane sur l’histoire de cette région plus que partout ailleurs. Les deux bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945 sonnèrent la défaite du Japon et, simultanément, la fin de sa colonisation honnie de la péninsule coréenne. La conscience publique extrême-orientale en est restée marquée.

Une leçon bien comprise

La guerre de Corée (1950-1953) fut sanglante, mais les combats meurtriers furent brefs. En moins de neuf mois, ils firent plus de 900 000 morts militaires et 2 millions de morts civils. Ils se déroulèrent schématiquement en trois phases. Les troupes du Nord descendirent rapidement vers le Sud. Elles furent repoussées par le corps expéditionnaire des Nations unies sous commandement américain jusque vers la frontière septentrionale. Plus d’un million et demi de «volontaires» chinois se ruèrent alors au combat et repoussèrent les forces internationales.

Le front se stabilisa, grossièrement, sur les lignes d’avant-guerre. MacArthur envisagea de larguer des bombes atomiques le long de la frontière chinoise, voire sur la Mandchourie. Il fut relevé de ses fonctions par Truman en avril 1951. La crainte d’une guerre directe avec l’autre puissance nucléaire, l’URSS, fut dissuasive. La leçon fut bien comprise par la Chine et son allié coréen.

Parapluie nucléaire américain

Au printemps 1953, à défaut d’un traité de paix, un accord d’armistice fut signé entre trois parties, la République populaire et démocratique de Corée et deux agents qui, formellement, n’existent plus: le Commandement des forces des Nations unies* et l’Armée des volontaires du peuple chinois. Au plus fort de la Guerre froide, l’existence même de la Corée du Nord fut mise en cause. A sa frontière méridionale – celle séparant, aussi, le communisme du capitalisme – les forces militaires s’étoffèrent. Eisenhower, en violation de l’accord d’armistice interdisant «tous renforts en armes et munitions», introduisit en 1957 l’arme atomique au Sud. Elle y demeura jusqu’à la fin de la Guerre froide.

Bush père la retira. Le pays reste compris dans la dissuasion du parapluie nucléaire américain. Obama l’a confirmé. Au Nord, Kim Il-sung prit conscience que la condition pour la survie de son régime était de le doter, également, de la force atomique. L’histoire lui a donné raison. L’objectif a été atteint en 2006. Cette volonté existentielle entraîna en 2012 une révision de la constitution nationale, afin de qualifier le pays d’«Etat nucléaire». Une éventuelle dénucléarisation prend, dans ce contexte, un sens particulier.

Eisenhower, en violation de l’accord d’armistice interdisant «tous renforts en armes et munitions», introduisit en 1957 l’arme atomique au Sud

Après un échange d’invectives et de menaces, la tension retomba. Une guerre aurait des conséquences dramatiques. Les chefs des deux Etats coréens proposèrent un sommet entre Trump et Kim. En marque de bonne volonté, le site d’expérimentation fut fermé. Il était devenu partiellement inutilisable. Après six explosions, dont vraisemblablement une thermonucléaire, le mont Mantap menaçait de s’effondrer. D’ailleurs, à ce stade de maîtrise technologique, le développement de l’armement peut se faire par d’autres moyens, virtuels.

La crédibilité de Trump entamée

La finalité du sommet semble nébuleuse. Les exigences américaines initiales sont apparues extravagantes: éradication totale, rapide, vérifiée et irréversible des armes nucléaires, sans levée immédiate des sanctions économiques, mais de vagues promesses d’appui futur. Irréalisme! Les déclarations des diverses autorités américaines furent contradictoires. La crédibilité internationale de Trump est entamée par son rejet unilatéral du traité nucléaire avec l’Iran. Ses récentes déclarations sont moins impératives. Lorsque l’extrémiste Bolton ou le falot vice-président Pence mentionnent le «modèle libyen», ils provoquent ou sabotent. Le sort réservé à Kadhafi représente précisément l’un des arguments explicites justifiant la dissuasion nucléaire. Le démantèlement éventuel des installations coréennes exigerait une quinzaine d’années.

Kim Jung-un considère qu’il s’agit d’un sommet entre deux Etats nucléaires pour mettre fin à un état de guerre vieux de près de 70 ans. La «dénucléarisation» pourrait être un gel du développement de l’armement, qui perdrait sa raison d’être en cas de traité de paix et de non-agression. Il n’a pas formellement énuméré ses demandes. Implicitement, elles sont la fin de l’état de guerre, la levée des sanctions et la mise en place de relations pacifiques pour traiter de la dénucléarisation sur l’ensemble de la péninsule.

Une telle hypothèse changerait l’équilibre des forces, impliquant tous les Etats de la région, au premier chef la Chine, le Japon et la Russie. La Corée du Nord répète et a démontré qu’elle n’a pas peur. Elle n’acceptera pas la «dénucléarisation» unilatérale qu’on prétend lui imposer. Les négociations seront longues et ardues. Avec ce sommet, Kim Jung-un gagne la première manche. Trump trouvera les arguments prouvant le contraire, qui convaincront, sans doute, sa base électorale.


* Voir Boisard, Une si belle illusion, Edition du Panthéon, pp. 298 et suivantes.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.