Opinion
OPINION. Les externalités positives de la production d’information justifient le soutien de l’Etat aux journalistes dans un cadre démocratique, écrivent les économistes Mark Schelker et Simon Berset de l’Université de Fribourg. Mais, avec la révolution technologique en cours, il faut repenser le fonctionnement de la redevance

L’initiative «No Billag» pose la question de la pertinence de l’intervention de l’Etat dans le marché des médias. A l’ère numérique, ni l’initiative ni le statu quo ne s’avèrent être des options satisfaisantes. Il faut envisager d’autres pistes si l’on entend sauver la diversité des médias en Suisse.
Autrefois, les coûts fixes élevés de production et de diffusion de contenus sur les chaînes de radio et de télévision dissuadaient les acteurs privés d’entrer sur ces marchés. En couvrant ces coûts, l’Etat permettait l’existence d’une offre. Les progrès technologiques ont abaissé les barrières à l’entrée et rendu cette intervention obsolète.
Mais une défaillance de marché légitime toujours une intervention publique. La production et la diffusion de certains contenus, tels que des informations politiques ou culturelles, bénéficient non seulement à leurs consommateurs mais aussi à la démocratie. La demande pour ces contenus ne reflète que partiellement leur véritable valeur. Les économistes parlent d’externalités positives. Etudes scientifiques à l’appui, la large diffusion de ce type de contenu tend à améliorer la formation d’opinions politiques, la participation démocratique ou le contrôle des pouvoirs publics par les citoyens. Il est aussi établi que la diversité des sources d’information renforce ces externalités positives.
Quel est le prix de l’information?
Du côté de l’offre, la production d’informations a un coût qu’il est difficile de couvrir via le marché. Une fois produite, l’information peut être relayée gratuitement. Cette contrainte n’a pas empêché des acteurs privés d’être actifs dans la production d’informations. Pour se financer, les médias ont recours aux recettes publicitaires. Avec l’exode de la publicité vers Internet, où elle est dissociée des contenus, ce modèle d’affaire est en péril pour la presse écrite. Pour les chaînes de télévision les perspectives ne sont pas meilleures. Il devient aisé pour le téléspectateur de contourner les annonces publicitaires. Une alternative consisterait à faire payer à chacun ce qu’il consomme. Cela limiterait cependant la portée des externalités positives qui appellent à une large diffusion des informations.
Un retrait total de l’Etat, comme le défend «No Billag», péjorerait donc le fonctionnement de la démocratie. A l’opposé, le financement par l’Etat de la quasi-totalité des programmes d’une seule entreprise est injustifié et risque d’appauvrir l’offre médiatique globale.
Un retrait total de l’Etat, comme le défend «No Billag», péjorerait donc le fonctionnement de la démocratie
Aujourd’hui, l’ensemble des contenus médiatiques est consommé sur Internet avec les smartphones. Cette convergence des médias met en concurrence directe tous les contenus. Leurs prix jouent dès lors un rôle central. Ceux qui sont fortement subventionnés par la SSR bénéficient d’un avantage déloyal et évincent ceux des fournisseurs privés, par exemple les télévisions privées ou la presse écrite. Cette politique entraîne la diminution de la pluralité des médias.
Décentralisation des revenus de la redevance
En outre, le système actuel accorde 90% de la redevance à la SSR dont les émissions d’information couvrent principalement les informations nationales. Or dans une démocratie décentralisée avec une activité politique très dynamique dans les cantons et communes, la couverture médiatique des régions mériterait davantage de moyens.
Une politique des médias adaptée à l’ère numérique devrait satisfaire à trois principes. Premièrement, l’intervention de l’Etat doit exclusivement viser des contenus d’information. Les externalités positives offertes par ce type de programmes justifient qu’ils soient subventionnés. Deuxièmement, les subventions ne doivent pas être réservées qu’à certains acteurs mais être destinées à tous les producteurs d’information, peu importe le média (presse, TV, radio, Internet, etc.). Finalement, l’allocation des subventions doit être indépendante des considérations politiques.
Des réformes sont indispensables et des propositions existent. La discussion sur la politique des médias de l’après «No Billag» doit être lancée! Il y va de la diversité du paysage médiatique suisse.
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