Tout a commencé il y a un peu plus de quatre mois, lorsque le nouveau gouvernement socialiste grec a annoncé un déficit budgétaire de 12,7% pour 2009, soit plus du double de ce qu’avait annoncé le précédent gouvernement. La Grèce n’est pas le seul pays en Europe à avoir un déficit à deux chiffres. Mais il s’ajoute à une dette déjà importante dont la somme dépasse un an du produit national.

Les gens ont ainsi découvert que les gouvernements grecs avaient manié les statistiques avec beaucoup de flexibilité et que les banques internationales les avaient aidés à camoufler la dette publique. Il est vrai que cela s’est produit dans d’autres pays. Mais dans le cas grec, les grands déficits budgétaires et la dette, auxquels s’ajoutent une mauvaise gestion politique et un manque de crédibilité, ont produit un mélange explosif.

Le nouveau gouvernement a été lent à réagir, en essayant de concilier promesses électorales et dure réalité, ainsi que les tendances opposées au sein du parti. Les institutions européennes et les partenaires de la Grèce au sein de l’UE ont donc commencé à exercer de fortes pressions sur Athènes pour le forcer à agir. Les rumeurs se sont mêlées aux faits, et les marchés financiers ont réagi à leur façon habituelle.

Ayant sous-estimé les risques pendant de nombreuses années, les marchés craignent à présent la hausse rapide de la dette souveraine partout où les gouvernements tentent de remédier aux ravages causés en premier lieu par un système financier global et dérégulé. Pendant ce temps, certains ont tenté de faire vite de l’argent sur d’obscurs marchés en jouant avec des CDS (Credit default swaps) souverains. Sur ces marchés, la spéculation peut avoir un effet déstabilisant, les paris se réalisent; la manipulation y tient une place considérable. Il n’est pas surprenant que la crise ait vite débordé des frontières grecques: la zone euro – et au-delà – compte d’autres membres vulnérables. Au final, l’euro a faibli face au dollar.

On ne peut nier qu’il revient d’abord aux Grecs de gérer leur problème. Le gouvernement a présenté à la Commission européenne son programme de stabilité et de croissance. Plusieurs mesures ont été ajoutées depuis, la dernière en date étant très rude. Le but est de réduire le déficit budgétaire de 10% du produit intérieur brut sur trois ans. Des années difficiles attendent les Grecs, c’est certain.

Il y a de bonnes nouvelles: le gouvernement est vite passé de la rhétorique à l’action, le principal parti d’opposition appuie les mesures d’austérité et la grande majorité des Grecs semble prête à se mettre en route, selon les sondages. On peut dire que la meilleure nouvelle est que la plupart d’entre eux se sont rendu compte que le problème est plus profond qu’une simple crise budgétaire. Ils seraient prêts, au final, à un grand changement.

La pression de l’extérieur, appelant à toujours plus de mesures contre le déficit, s’est souvent accompagnée de commentaires désobligeants sur la capacité des Grecs à être financièrement responsables, voire responsables tout court: «Tout cela, c’est dans l’ADN, vous savez!» Malgré de nombreuses années de souveraineté partagée, nous, les Européens, nous laissons souvent aller à nous jeter des pierres les uns sur les autres, alors que nous vivons dans un palais de cristal. Parfois, cela devient méchant, et dangereux. Il nous a manqué une direction responsable. Pendant ce temps, la spéculation sur les marchés est allée bon train, et ceux-ci ne sont ni efficaces ni transparents.

La question n’est pas de savoir si les Allemands ou d’autres doivent rembourser la dette grecque. Le problème n’est pas là – il ne devrait pas l’être. Ce qu’il faut, en ces temps difficiles, c’est précisément la détermination des Grecs à tenir le feu ainsi qu’une solidarité européenne. On doit donner au gouvernement grec une chance d’introduire son programme de stabilisation. Un effort coordonné devrait s’atteler à calmer les pulsions des marchés financiers. L’aide européenne, avec son lot de conditions, ne devrait intervenir qu’en dernière instance.

Dans sa onzième année, la monnaie unique européenne, le plus grand acte d’intégration jamais créé depuis la fondation de l’Union, passe un test d’endurance difficile. La zone euro a besoin de mécanismes de régulation communs plus forts pour les marchés financiers; d’une représentation unique dans les institutions telles que le FMI; et d’une coordination toujours plus contraignante des politiques économiques nationales, combinant incitations et sanctions, le tout avec une surveillance efficace et une aide sous conditions.

Il est sûr que la coordination des politiques économiques nationales ne devrait pas aller à sens unique. Alors que les Grecs, les Espagnols et d’autres se serrent la ceinture pour regagner leur compétitivité perdue, les Allemands doivent relancer leur demande intérieure. Les déficits extérieurs des Européens du Sud ont leurs contreparties dans les grands excédents de l’Allemagne et des Pays-Bas. L’euro ne peut pas simplement fonctionner sur le principe: «Si ça fait mal, c’est que c’est bon pour vous.» Quelle économie serait-ce là!

Ceux qui parient contre la survie de l’euro n’ont jamais compris ou ne se sont jamais souciés de la somme de capital politique qui y a été investi. Il revient à tous ceux qui sont impliqués dans cette entreprise commune de leur prouver qu’ils ont tort. Nous l’avons fait avant dans des circonstances difficiles. L’euro et l’Union européenne en sont les preuves vivantes.

Traduction: Emmanuel Gehrig.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.