Cela peut être un plaisir, mais c’est très souvent un casse-tête. Le choix des vins pour aborder la succession des apéritifs et repas de fin d’année fait l’objet de stratégies complexes: certains acheteurs cherchent des cuvées originales dans les rayons des commerces spécialisés, d’autres font leurs emplettes sur internet alors que la majorité fait son marché dans l’offre pléthorique de la grande distribution. Les critères de sélection sont divers et variés, avec des pondérations entre le niveau de prix, l’expérience personnelle, les médailles obtenues dans les concours, les préférences régionales ou encore la séduction d’une étiquette.

Dans ce marché extrêmement concurrentiel, le critique de vins joue le rôle de poisson-pilote. L’auteur de ces lignes – qui exerce cette fonction à temps partiel pour Le Temps depuis dix ans – goûte, évalue et recrache une centaine de vins par mois. Contrairement au critique de cinéma, qui écrit sur tous les films qu’il va voir, le journaliste du vin est extrêmement sélectif: il ne chronique que ses coups de cœur et encore, pas tous. Pour intéresser le lecteur du Temps, pas forcément spécialiste, la description des arômes du vin et de sa structure ne suffit pas. Il faut aussi avoir une histoire à raconter, le fameux «storytelling». A qualité égale, un vin singulier a donc plus de chances d’être médiatisé qu’un cru sans identité.

Préférence locale

Les choix effectués sont le fruit d’une subjectivité assumée. L’entraînement, aussi important que pour la pratique du marathon, permet d’évacuer les vins qui ont des défauts. Mais il n’exclut pas les préférences liées à son bagage personnel ou culturel. La participation à des jurys de dégustation dans différents concours le rappelle de manière spectaculaire. En mai dernier, lors du Mondial de Bruxelles, un collègue chinois donnait systématiquement des notes élevées aux vins rouges présentant une légère suavité. Une caractéristique pénalisée de manière symétrique par la plupart des autres jurés.

A part quelques exceptions, dont l’emblématique Robert Parker, désormais retraité, l’influence du critique de vin est très relative et reste confinée à un territoire donné. Dans Le Temps, seul quotidien transcantonal romand, le choix de chroniquer les (meilleurs) vins suisses, et rien qu’eux, constitue une évidence. Cette orientation, déjà prise par Patricia Briel, chroniqueuse vin du Temps jusqu’en 2010, a été légitimée ces dernières années par des progrès qualitatifs constants et par la nécessité, encore mal comprise pour le vin, d’acheter et de consommer local.

Un patriotisme viticole justifié

Le patriotisme viticole n’empêche pas de faire des reportages à l’étranger, avec l’envie de rencontrer des vignerons remarquables, de raconter l’histoire d’une appellation ou les fastes d’une propriété iconique. Entre les voyages de presse et les vacances, souvent passées dans des régions viticoles, il faut faire un tri important. Là encore, c’est le «storytelling» et l’excellence des cuvées produites qui guident les choix.

Certains sujets s’imposent d’eux-mêmes: c’est le cas du champagne, qui fait l’objet d’un dossier chaque année avant les Fêtes dans le T Magazine. Dans ce cas précis, l’intérêt est aussi économique. Il s’agit d’attirer la publicité des grandes maisons de champagne. Ni les sujets à traiter ni les cuvées à sélectionner ne sont imposés. Mais la liberté n’est pas totale, impossible de parler des meilleurs vins effervescents de Suisse dans ce genre de numéro: les Champenois sont particulièrement jaloux de leurs bulles.


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