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«#Cuéntalo», la parole libérée en Espagne

Dans la rue et sur les réseaux sociaux, l’indignation grandit face aux juges de Navarre qui n’ont pas retenu le viol collectif dans le «scandale de la meute» à Pampelune

Jeudi 26 avril, une femme manifeste à Madrid contre le verdict du Tribunal de Navarre. — © Gabriel Bouys/AFP
Jeudi 26 avril, une femme manifeste à Madrid contre le verdict du Tribunal de Navarre. — © Gabriel Bouys/AFP

#Cuéntalo («Raconte-le»): le hashtag est moins tapageur que #Balancetonporc. Il vise toutefois le même objectif: pour que les abus sexuels ne restent pas impunis, la parole des femmes agressées doit se faire entendre. Loin du tapis rouge et des paillettes d’Hollywood, le cœur de l’indignation touche ici au traitement judiciaire du «scandale de la meute»: un «viol collectif» aux yeux de tous, sauf des juges. Dans un pays où les violences contre les femmes restent très élevées (12,5% en 2015), l’affaire secoue les consciences et suscite une condamnation politique unanime.

Le cadre est festif, l’issue tragique. En juillet 2016, une jeune Madrilène de 18 ans participe aux fêtes de San Fermin à Pampelune. En fin de soirée, cinq hommes l’attirent dans un couloir pour abuser d’elle. Jeudi 26 avril, le Tribunal de Navarre a condamné les auteurs, qui se faisaient appeler «La Manada» (la meute), à 9 ans de prison pour «abus sexuels» et «abus de faiblesse». Pas de «viol» donc, pour lequel le Code pénal espagnol stipule qu’il doit y avoir «intimidation» ou «violence». Depuis, les manifestations s’enchaînent. Samedi, quelque 35 000 personnes sont encore descendues dans les rues de la capitale de Navarre pour crier «leur» verdict: «Ce n’est pas un abus sexuel, c’est un viol.»

Pour que les femmes puissent vivre libres

Face à une justice jugée laxiste, émanation d’une société patriarcale, l’enjeu de crédibilité resurgit. Aux côtés de #Cuéntalo, le slogan #YoSiTeCreo («Moi je te crois») caracole en tête des statistiques Twitter. Un mot d’ordre repris jusque dans le monastère d’Hondarribia au Pays basque, où 16 sœurs carmélites ont signé un manifeste indigné. «Nous vivons cloîtrées, nous portons un habit qui nous arrive quasiment aux chevilles, nous ne sortons pas le soir, nous ne buvons pas d’alcool et avons fait vœu de chasteté», écrivent-elles. «Parce que c’est un choix libre, nous défendrons par tous les moyens à notre disposition […] le droit de toutes les femmes à faire LIBREMENT le contraire, sans qu’elles soient pour cela jugées, violées, menacées, assassinées ou humiliées.»

Douloureux précédant

«Ce verdict avait l’opportunité de rentrer dans l’histoire et de montrer aux femmes que le système judiciaire espagnol les protège. Il rentrera dans l’histoire pour avoir laissé les femmes toujours plus sans défense», dénonce @alexamath.

Le jugement apparaît d’autant plus douloureux à la lumière de ce précédent que rappelle la romancière Lucía Etxebarría: «Il y a dix ans, une étudiante avait été tuée lors des Sanfermines de Pampelune après avoir résisté à son violeur. Aujourd’hui, le message de la justice est: si tu ne résistes pas, on ne te croit pas. #LaManada

«Ne viens pas seule»

Au-delà du système judiciaire, c’est le climat d’insécurité permanent que les internautes dénoncent aujourd’hui. «Préviens-moi quand tu arrives. Ne viens pas seule. Je t’appelle et on parle sur le chemin»: les Espagnoles sont lasses de ces petits conseils, de ces précautions déployées «au cas où». «Nous sommes fatiguées de devoir être courageuses, alors que nous souhaitons seulement être libres», résume @kenyvazquezz.

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