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Initiative sur la taxation des dividendes: les arguments fallacieux des opposants

OPINION. Lynn Bertholet, candidate e au Grand Conseil genevois, dénonce les arguments brandis par la droite contre cette initiative de la gauche

Des affiches de campagne sur l’initiative cantonale sur la taxation des dividendes, le 23 février 2023 à Genève. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE
Des affiches de campagne sur l’initiative cantonale sur la taxation des dividendes, le 23 février 2023 à Genève. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE

Lorsque, le 12 mars, vous voterez sur le texte de l’initiative IN 179 dénommée «Contre le virus
des inégalités… résistons! supprimons les privilèges fiscaux des gros actionnaires», prenez en compte deux éléments importants:

  • cette initiative ne va pas pénaliser les PME, ni l’emploi, bien au contraire!
  • cette initiative vise à une meilleure redistribution des richesses sans toucher à la classe moyenne.

Je me propose de vous le démontrer en analysant les arguments de la droite, du centre et des vert’libéraux qui tous combattent farouchement cette initiative de la gauche et des Vert·e·s. Le texte, au-delà de son titre militant, vise à taxer pleinement les actionnaires détenant 10%, ou plus, du capital-actions d’une société. Actuellement à Genève, les actionnaires sont taxés à 70% pour des participations de plus de 10% faisant partie de la fortune privée et à 60% pour celles faisant partie de la fortune commerciale, c’est-à-dire détenues par une personne directement active dans la société concernée. Ces taux sont les mêmes dans le canton de Vaud; ils sont plus bas à Zurich, mais plus hauts à Bâle-Ville.

Lire aussi: Genève s’apprête à décider s’il faut taxer davantage les dividendes

Vouloir le beurre et l’argent du beurre

Premier argument fallacieux: ces rabais, de respectivement 30 et 40%, seraient justifiés en raison de l’existence d’une double imposition. Ainsi, celui ou celle qui détient son entreprise et l’a organisée en personne morale (société anonyme, SÀRL, coopérative…) serait taxé deux fois puisqu’il ou elle paie des impôts sur son salaire et sur les dividendes, alors que l’entreprise paie des impôts sur son bénéfice.

L’argument est curieux puisque le choix de créer une personne morale, et donc de séparer son entreprise de sa fortune personnelle, vise justement à créer un second sujet de droit, qui, comme chacun, doit payer ses impôts. Le but de la séparation entre ses avoirs personnels et son entreprise vise la plupart du temps à minimiser les risques en cas de faillite, à optimiser les déductions possibles et parfois à faciliter la transmission à ses héritiers ou la vente à d’éventuels acquéreurs. Bref, fonder une personne morale apporte de nombreux avantages par rapport à la raison individuelle, et se plaindre qu’elle doit payer ses impôts, c’est vouloir le beurre et l’argent du beurre.

La moyenne est souvent un mauvais indicateur

Deuxième argument fallacieux: l’initiative condamnerait les PME genevoises en les taxant trop lourdement. Il faut rappeler premièrement que ce ne sont pas elles qui verraient leurs impôts augmenter, mais leurs actionnaires en détenant plus de 10%. Il faut également souligner que grâce à la RFFA, les PME ont vu leurs impôts diminuer de près de moitié en 2020. Deuxièmement, il convient d’analyser qui sont les personnes visées par le texte et si elles représentent vraiment les patrons des petites et moyennes entreprises. Dans ce but, je me suis basée sur les réponses du Conseil d’Etat à la question écrite urgente QUE 1843 déposée par le député Pierre Eckert (Les Vert·e·s) demandant des statistiques plus récentes que les chiffres remis en commission fiscale et surtout une répartition des dividendes versés en cinq tranches pour pouvoir déterminer si les bénéficiaires sont des petits ou des gros actionnaires.

Les seuls chiffres connus lors de la défense de l’initiative devant la presse étaient que, grosso modo, 1600 actionnaires détenant plus de 10% d’une société percevaient environ 1 milliard de dividendes, ce qui représentait un montant moyen de 625 000 francs par personne et par an, ou plus de 50 000 francs par mois. Mais une moyenne est souvent un mauvais indicateur. Grâce aux chiffres obtenus par M. Eckert, il est possible d’analyser plus finement la répartition des dividendes versés, et donc des impôts payés. Et les faits sont que, comme pour les revenus des salariés, les petits patrons touchent peu de dividendes et donc paient peu d’impôts sur ces montants, alors que les gros touchent beaucoup et devraient donc payer beaucoup.

Lire encore: A Genève, la droite combat une «nouvelle attaque fiscale de la gauche» contre les entreprises

Conserver une capacité d’investissement

Ainsi, en 2019, dernière année dont les données ont été fournies par le Conseil d’Etat, la moitié des contribuables concernés (50,36%) touchait moins de 100 000 francs de dividende, pour un total de 29,7 millions ou 2,18% des 1362,5 millions distribués. A l’opposé, 8,68% des contribuables détenant au moins 10% d’une entreprise ont perçu 1 000 000 francs et plus de dividende, pour un total de 1139,3 millions ou près de 84% du total. Pour sûr, ces derniers ne sont pas des petits patrons de PME et représentent bien les personnes à qui l’initiative demande plus de solidarité.

Troisième argument fallacieux: l’initiative, en pénalisant les PME, empêcherait le développement économique et tuerait l’emploi, alors que c’est exactement le contraire puisqu’en distribuant moins d’argent à l’extérieur, les entreprises conservent une plus grande capacité d’investissement, notamment pour leur développement, pour créer des places de travail ou pour financer la transition énergétique.

Pour conclure, à titre personnel, je regrette que le Grand Conseil n’ait pas voulu travailler sur un texte de compromis qui aurait par exemple placé Genève au niveau de Bâle-Ville, ou fixer un seuil à partir duquel les dividendes en cause auraient été taxés pleinement. A défaut, soutenir le texte me semble la solution la plus raisonnable pour contribuer aux besoins de financement de la lutte contre le dérèglement climatique.