Les décisions politiques et le bon sens économique
Analyse
La perception des faits diffère souvent de la réalité. Il en va ainsi de la concurrence, du commerce et de la globalisation. Les politiques s’alignent sur de faux jugements. Les économistes en perdent leur latin. Les lumières académiques éclairent le mystère

Les décisions politiques vont de plus en plus à l’envers du bon sens économique. Face à la stagnation, l’Etat régule, n’atteint pas son but, accroît les contrôles, protège certains groupes d’intérêt électoralement porteurs. Il revoit sa copie, ajoute une couche de protectionnisme. Les acteurs économiques en perdent l’envie d’investir.
Greg Mankiw, professeur à Harvard, déplorait cet été, dans le New York Times, le résultat d’un sondage: Seuls 35% des citoyens américains se considèrent des gagnants de la globalisation alors que 55% se disent perdants. Le risque est grand que les politiciens réagissent à ces perceptions par une politique protectionniste, commente-t-il. Pourtant les travaux économiques, dans leur grande majorité, démontrent l’effet positif de la mondialisation.
Les trois raisons du refus de mondialisation
Les raisons de cette contradiction sont analysées par Edward Mansfield et Diana Mutz (1). Le scepticisme à l’égard des échanges et de la mondialisation est, à leur avis, le reflet de trois types de convictions: L’isolationnisme, dans le sens où les Etats-Unis devraient se retirer des conflits à l’étranger et de la gestion des problèmes globaux. Le nationalisme, lequel se traduit par un sentiment de supériorité culturelle chez les sceptiques (le monde serait meilleur si tous étaient comme nous). L’ethnocentrisme, qui se traduit par un sentiment de plus grande fiabilité des locaux.
Les deux chercheurs démontrent qu’un niveau d’éducation modeste se traduit souvent par une attitude isolationniste, nationaliste et ethnocentrisme. Un jugement confirmé par le vote du Brexit. Greg Mankiw se veut optimiste à l’égard de la mondialisation en constatant que le niveau d’éducation augmente. Nous doutons fort que ce facteur soit suffisant.
Le désir démocratique n’est pas entendu à Bruxelles
La réaction de l’UE au Brexit confirme plutôt que la Commission n’ait aucunement compris le message, notamment le besoin des citoyens de ne pas être exclu des processus de décision démocratique. L’UE, sans faire appel aux lois de la démocratie, a elle-même modifié, voire inversé, le sens accordé à l’intégration européenne, ainsi que le montre le philosophe Pascal Salin dans «Le double visage de l’intégration européenne» (Institut Libéral, juillet 2016). Lui aussi cherche à expliquer le besoin apparent d’encadrer la mondialisation économique par une «mondialisation des politiques économiques».
Le libre-échange répond en effet à l’hypothèse de rationalité humaine. Les êtres humains sont tous différents, par leurs attitudes et leurs besoins. «De là vient l’utilité de l’échange entre individus», écrit-il. La théorie de la spécialisation internationale en constitue sa prolongation. C’est «l’un des éléments les plus solides et les plus incontournables de toute la théorie économique», poursuit-il. La généralisation du protectionnisme s’explique donc, à son avis, par l’ignorance et l’intérêt sectoriel à court terme, lequel exprime un «marché politique» et se traduit par des privilèges sectoriels.
Les deux concepts d’intégration
Pascal Salin critique la théorie économique de la concurrence parfaite, parce qu’elle nécessite un grand nombre de producteurs produisant un bien avec les mêmes techniques et les mêmes conditions de production. La théorie est, à son goût, à l’inverse du sens commun. Aux Jeux Olympiques par exemple, on dit que les sportifs sont en concurrence si chacun d’eux essaie de faire mieux que l’autre, et non pas s’ils font la même performance, argumente Pascal Salin. En économie aussi, chacun essaie de vendre les produits les meilleurs ou les moins chers. Mais ce n’est possible que s’ils sont libres de décider de leur processus de production. «Le grand mérite de la concurrence réside justement dans cette incitation à se différencier», ajoute Pascal Salin. La mondialisation peut donc se définir comme la généralisation de la concurrence dans le monde, selon le philosophe. C’est une source de diversité. La politique dite d’intégration menée par l’UE a donc inversé le sens originel du mot. On veut imposer le même mode de production d’un bien ou d’un service du nord au sud sans tenir compte des différentes conditions, climatiques, fiscales ou juridiques. Or il est absurde d’harmoniser les conditions de concurrence. Le raisonnement vaut autant pour la fiscalité que pour le reste. Chaque pays et chaque commune a ses propres besoins. Pourquoi une autorité centrale devrait-elle imposer les mêmes contraintes fiscales – ce qu’on appelle à tort «harmonisation», comme si elle créait l’harmonie-? «Cette politisation de la vie économique ne peut rien faire d’autre qu’exacerber les conflits, contrairement à ce que le marché peut faire», analyse Pascal Salin.
(1) Support for Free Trade: Self-Interest, Sociotropic Politics, and Out-Group Anxiety
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