L’Europe représente 80% de nos importations et 60% de nos exportations. C’est six fois plus que notre deuxième partenaire économique. De par notre situation économique, géographique et culturelle, et même si nous envisageons de développer nos exportations vers l’Asie ou l’Amérique latine, l’Europe demeurera longtemps encore notre premier partenaire. Une déconnection durable de l’Europe et du monde aurait des conséquences dramatiques dans toute une série de domaines.

Le non à l’Espace économique européen (EEE) a entraîné pour la Suisse dix ans de croissance zéro et la faillite de Swissair. La voie bilatérale, dont les partis du centre droit sont les architectes, face aux Neinsager de droite et à une gauche qui veut adhérer à tout prix, est une réalité depuis 2001. Les accords bilatéraux nous ont apporté la croissance et nous ont permis de traverser les crises mieux que quiconque. Pas moins de 20 accords principaux et une bonne centaine d’accords secondaires nous lient à l’UE. Leur mise en place a nécessité d’âpres négociations et une kyrielle de votations populaires, toutes victorieuses. Durant cette période, la Suisse a obtenu plusieurs libertés aériennes, la reconnaissance des diplômes, l’accès aux programmes de recherche européens, des accès importants aux marchés, la libre circulation, Schengen et Dublin…

La voie bilatérale a permis de créer 500 000 emplois et d’en maintenir de très nombreux sans augmentation du chômage. Les nouveaux migrants sont en majorité des universitaires ou diplômés de hautes écoles, ce qui constitue un avantage en matière d’intégration et un bol d’air pour nos assurances sociales. Ceux-ci occupent des postes dans les domaines où la Suisse ne forme pas suffisamment de personnel qualifié (santé, technique, ingénierie) ou dans les ­secteurs dont nos concitoyens se désintéressent (tourisme, restauration, construction).

Si la Suisse n’a pas manqué de signaler son intention de négocier dans le domaine de l’énergie, de la santé, des produits chimiques ou des certificats d’émission de gaz à effet de serre, il faut se rendre à l’évidence. La voie bilatérale est devenue caillouteuse, pour ne pas dire infranchissable. La voie royale s’est transformée en cul-de-sac.

Alors que faire? Adhérer à l’UE? Sûrement pas. Le Conseil fédéral recherche laborieusement un chemin entre des «bilatérales +» et «l’EEE –» sans oser appeler un chat un chat. Entre la voie bilatérale et l’adhésion, il y a une voie médiane qui pourrait convenir à la Suisse. Cette voie existe. C’est peut-être l’EEE. Bien sûr, l’EEE de 2012 n’est plus celui de 1992. La maison EEE a 20 ans. Elle est habitable mais nécessite une bonne rénovation. De nombreux membres fondateurs sont devenus membres à part entière de l’UE. Aujourd’hui il reste dans l’EEE, comme non-membres de l’Union, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Ceux-ci profitent très largement des avantages de l’EEE, gardent jalousement leur indépendance et ne sont pas prêts, hormis l’Islande, à faire le pas de l’adhésion à l’UE.

Pour la Suisse, l’EEE permettrait de résoudre les problèmes institutionnels, notamment en matière de reprise du droit européen ou de règlement des différends. Aujour­d’hui déjà, nous reprenons l’essentiel des règles européennes de ­manière autonome, quasi automatique, presque inconsciemment et sans opposition. Des règles européennes qui sont appliquées souvent avec un peu trop de zèle par la Suisse… Dans plus de 95% des cas, la reprise du droit européen ne pose pas de problèmes.

Pour la Suisse, l’EEE comporterait de nombreux avantages: un accès non discriminatoire au marché européen, la sécurité du droit, l’intégration dans un ensemble où la Suisse n’est plus seule à réclamer une solution particulière. L’EEE est dépourvu des inconvénients tels que l’adoption de l’euro, la politique de sécurité européenne ou la Politique agricole commune (PAC). Par conséquent, l’agriculture ne serait pas touchée. Le mécanisme de règlement des divergences, assimilé parfois à un retour des baillis, dont la Suisse s’accommode très bien dans le cadre de l’OMC, ne devrait pas représenter un obstacle insurmontable moyennant des aménagements. Le prix? Le montant annuel est substantiel mais pas exorbitant et surtout sans rapport avec le coût d’un isolement économique ou d’un enlisement total des bilatérales.

Last but not least, la démocratie directe. Sur ce point, nous devrions négocier une solution pour la Suisse dans les cas difficiles et il n’y en aura pas tant que cela. Nous voulons un droit de codécision du parlement voire du peuple, comme pour Schengen ou la règle des 24 heures. L’Europe aussi doit pouvoir s’accommoder d’un zeste de démocratie. Et, pour éviter de tomber dans le piège de 1992, il faudra retirer au bon moment mais une fois pour toutes la demande d’adhésion à l’UE. Ainsi nous clarifierons le débat pour signifier que l’EEE n’est pas un «camp d’entraînement» à l’adhésion à l’UE. Alors oui, ayons le courage de reposer la question, que le peuple suisse pourra trancher en connaissance de cause.

Pour éviter de tomber dans le piège de 1992, il faudra retirer une fois pour toutes la demande d’adhésion

à l’UE

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