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On peut bien sûr comprendre la colère des travailleurs français face à une réforme des retraites qui leur demande de trimer deux ans de plus. Et surtout celle encore plus largement partagée face au passage en force parlementaire de la part d’Emmanuel Macron (dans les clous de la Constitution tout de même). Mais la radicalité de certains propos tenus de plus en plus largement ainsi que la violence des déprédations et des agressions en marge des manifestations atteignent des sommets difficilement explicables depuis quelques jours en France.

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Les appels de moins en moins relativisables de Jean-Luc Mélenchon à un vrai renversement des institutions et du président («le 14 juillet, nous lui apprendrons la signification du mot insurrection») sont à la hauteur des discussions informelles que l’on peut avoir avec des amis anciennement modérés et surtout de la frénésie qui semble avoir emporté les réseaux sociaux français, particulièrement sur Twitter. L’anti-macronisme radical qui était l’apanage de groupes Facebook confidentiels à l’époque des Gilets jaunes est devenu quasi généralisé, y compris chez les intellectuels et les journalistes anciennement centristes.

Monique Dagnaud, directrice de recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), y voit «l’aboutissement du processus engendré par la communication internet qui, au départ, offrait la promesse d’une ouverture démocratique et à l’arrivée se révèle un aller direct et peut être sans retour vers le populisme». Dans une tribune publiée sur le site du think tank Telos, elle estime que cette dérive, qui laisse les réseaux sociaux «aux internautes galvanisés par des humeurs et commentaires chargés d’émotions» dopés par «l’algorithme de la haine et du désaccord», contamine les médias traditionnels où, désormais, «tout concourt à polariser les auditeurs et les opinions, à hystériser les esprits». Une véritable «asphyxie de la pensée délibérative» qui mènerait au bord du gouffre, comme en Italie avec Giorgia Meloni ou aux Etats-Unis avec Donald Trump.

Cette atmosphère délétère tend à tout excuser, même les violences de plus en plus inexcusables. Dans la rue, des cocktails molotov sont désormais envoyés sur la police et on s’habitue à la destruction, voire au pillage de commerces qui ne représentent pas toujours le «grand capital». Drapé dans les beaux sentiments, on préférera toujours dénoncer l’escalade sécuritaire du président de la République que de se questionner sur ce qui nourrit vraiment ou rend possibles ces déprédations.

D’autant que les raisons de la colère ne sont finalement pas plus fortes en France que dans les autres démocraties occidentales. Dans une autre tribune qui fait beaucoup parler en ce début de semaine, publiée sur le site du Guardian, Alexander Hurst, écrivain et journaliste américain basé en France et maître de conférences à Sciences Po, montre bien le «caractère hyperbolique et catastrophiste du discours intérieur de la France sur elle-même». L’Hexagone est effectivement loin d’être «submergé par l’ultra-néolibéralisme ou par l’autoritarisme» et consacre au contraire «un pourcentage plus élevé de son PIB à la redistribution des inégalités du marché que n’importe lequel de ses pairs riches». Le taux de chômage est désormais maîtrisé et même l’empreinte climatique est meilleure qu’ailleurs selon Alexander Hurst. L’intellectuel explique pourtant comment un «misérabilisme performatif» profond prend le dessus en rendant «la perception plus puissante que la réalité, et ce, dangereusement».

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